Numéro 8 Animal
Créatures des royaumes contigus
Note de lecture
UNE INTENSE FASCINATION pour le surnaturel et l’inexpliqué est l’une des caractéristiques les mieux partagées parmi les peuples du monde entier. Si, au fil des siècles, la modernité et les sciences ont mis à mal certaines croyances et superstitions, réduisant leur emprise sur nos actes du quotidien, il n’empêche que beaucoup perdurent dans les esprits, et dans les histoires que nous aimons à nous raconter.
L’Asie, et en particulier celle du Sud-est, rassemble des terres fertiles en récits de toutes sortes, dans lesquels se mêlent et s’entremêlent croyances animistes, rites religieux et connaissances empiriques. Ces récits, véhiculés de village en village par les conteurs ambulants – penglipur lara dans le cas de l’archipel malayo-indonésien – et transmis de génération en génération, servent aujourd’hui de source d’inspiration inépuisable aux écrivains. Zedeck Siew, jeune auteur malaisien de fictions courtes, fait partie de ceux qui s’abreuvent sans compter de ces eaux magiques et en tissent des histoires qui parlent aux lecteurs d’aujourd’hui.
Avec sa compagne, l’illustratrice Sharon Chin, il vient de publier un recueil de mini-nouvelles faisant la part belle aux bêtes fantastiques et aux plantes miraculeuses qui ont peuplé et peuplent encore l’imaginaire des Malaisiens, mais aussi, parfois, celui des habitants des pays voisins. Intitulé Créatures des royaumes contigus, c’est un ouvrage à la fois splendide visuellement et foisonnant sur le plan littéraire, avec pas moins de 75 textes courts inspirés du folklore magique de l’archipel malayo-indonésien.
Parmi les ouvrages faisant autorité dans ce domaine, il en est un datant de l’an 1900 que Zedeck Siew cite volontiers comme sa bible de référence : Malay Magic, de l’anthropologue anglais Walter William Skeat (1866-1953). Voici ce qu’il en dit :
« J’adore ce livre. C’est un livre très mauvais, d’autres études bien plus complètes et sensibles ont été publiées depuis [sur le sujet]. Il appartient à une époque où les hommes blancs dominaient le monde et disaient des choses répréhensibles telles que ‘ces étrangers d’un niveau inférieur de civilisation’. (Les hommes blancs dominent toujours le monde. Ils ne disent juste plus ce genre de choses. Pas à voix haute). Mais c’est ce livre qui m’a fait aimer la magie de mon pays. Il rassemble tant de belles histoires. J’en ai repris plusieurs images – les escargots-sangsues ; l’arbre à l’âme d’oiseau qui rêve de s’envoler ; le dieu-crabe qui vit dans le Nombril des Mers… Je crois qu’il raconte des choses vraies, mais de façon occulte. Du XIXe siècle à nos jours, bien que nos rites aient évolué, nous traitons toujours ces forces et ces mystères de la même manière : avec crainte, avec respect… et un nonchalant ‘Ouais, y’a un fantôme ici’. »
À la lecture de Malay Magic, on retrouve en effet plusieurs de ces animaux et de ces plantes que Zedeck Siew a choisi de réinterpréter, plus d’un siècle plus tard, à la lumière d’un jour nouveau, celui d’une Malaisie engagée depuis plusieurs décennies sur le chemin de la modernité, mais toujours fidèle à son riche panthéon de forces anthropomorphes plus ou moins bienveillantes. Il y a là le Tigre, bien sûr, devenu entre-temps l’emblème de l’État malaisien, mais aussi l’Éléphant, le Pangolin, l’Aigle, le Crocodile, le Cerf, et même la Chouette, le Cochon sauvage et les Chiens de chasse. Autant de personnages qui, de cérémonie en cérémonie, de conversation en conversation, continuent, selon les âges, d’amuser, de fasciner, voire de donner une peur bleue à ceux qui les évoquent.
ZEDECK SIEW est l’auteur de Créatures des royaumes contigus, des mini-nouvelles traduites de l’anglais (Malaisie) par BRIGITTE BRESSON et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 8 de Jentayu.
Illustration : © Sharon Chin.