Numéro 8 Animal
Quatrième souvenir : La première pierre
Note de lecture
LI YONGPING (李永平) est né en 1947 en Malaisie, à Kuching (nord-ouest de l’île de Bornéo), où il passe son enfance, puis il émigre à Taïwan en 1967 où il devient professeur. Il démissionne de toutes ses fonctions en 1987, après avoir publié son premier roman, Jiling Chunqiu 吉陵春秋 (Les printemps et automne de Jiling), pour se consacrer à l’écriture et à la traduction. Li Yongping est décédé en octobre 2017 à Taipei.
Son œuvre comprend un recueil de nouvelles de jeunesse, Lazi fu拉子婦 (L’épouse indigène, 1976) et six romans : Jiling Chunqiu, puis Haidong Qing 海東青 (L’aigle bleu, 1992), Zhuling manyou xianjing 朱鴒漫遊仙境 (Le merveilleux voyage de Zhu Ling, 1998), Yuxue feifei : boluzuozhou tongnian jishi 雨雪霏霏: 婆羅洲童年記事 (Comme des averses de grésil : souvenirs d’enfance de Bornéo, 2002), Dahe jintou 大河盡頭 (À l’embouchure du fleuve, deux tomes, 2008 et 2010), et une anthologie Zhitu ?迌 (Errances de lunes en soleils, 2003). Son œuvre romanesque lui a valu l’attention continue des lecteurs et de la critique, Wang Der-wei est allé jusqu’à le placer aux côtés de Shen Congwen et de Mo Yan. De par ses thématiques en rapport avec l’histoire récente de la Malaisie, Li pourrait être également rapproché d’auteurs sino-malaisiens anglophones contemporains, comme Tash Aw ou Tan Twan Eng.
Le texte proposé pour ce numéro de Jentayu est tiré de Comme des averses de grésil : souvenirs d’enfance de Bornéo, quatrième et avant-dernier roman de Li Yongping. L’auteur y entremêle subtilement fiction, autobiographie et réflexion sur la démarche créatrice, il parvient à concilier un style narratif très épuré, à partir de la thématique relativement simple du souvenir d’enfance, et la construction d’un récit conçu sur plusieurs niveaux où se superposent les temporalités et les géographies différentes qui donnent au texte une certaine profondeur avec le passage continu entre Taipei/présent et Bornéo/passé, et leur constante superposition ; c’est le roman tel que le conçoit Li, un troisième lieu, affirmé comme l’espace de l’imaginaire.
« La première pierre » s’inscrit donc au cœur de ce récit composé de neuf chapitres correspondants chacun à un épisode marquant de l’enfance du narrateur qui, tandis qu’il erre dans les rues du Taipei nocturne en compagnie d’une petite vagabonde (le personnage de Chu-ling, récurrent chez Li), dévide le fil de ses souvenirs. Le quatrième est donc lié à un chien, Noireaud, 小烏 : animal domestique banal, en France comme dans les maisons des cultivateurs malais qu’il protégeait, nous apprend Li, des chasseurs de têtes (fantasmés) et des serpents venimeux (réels), le chien est aussi une riche figure littéraire dans ce texte. Il apparaît brièvement comme une figure hallucinée, fantomatique, qui revient hanter des lieux jadis habités, il opère aussi comme un levier psychologique qui fait revenir les culpabilités refoulées de l’enfance, libère la mémoire ; enfin, c’est lui, le chien malade, la bête à l’agonie qui dans un subtil retournement renvoie la petite horde d’enfants à leur inhumanité devant lui, questionne la frontière de l’animalité. Chien – et sphynx, peut-être.
LI YONGPING est l’auteur de Quatrième souvenir : La première pierre, un extrait de roman traduit du chinois (Malaisie) par PIERRE-MONG LIM et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 8 de Jentayu.
Illustration : © Sharon Chin.