Numéro 6 Amours et Sensualités
Et ainsi… janvier
Note de lecture
LA JEUNE POÉTESSE birmane Mae Yway (မယ္ေယြး), de son vrai nom Yi Ywel Yway, est originaire de Myeik, une ville sur la côte d’Andaman, dans le Sud profond du Myanmar. Née en 1991, elle réside à Rangoon depuis l’âge de 10 ans. Bien qu’elle ait suivi une formation d’ingénieur en électronique, elle n’a jamais exercé dans ce secteur, préférant se consacrer à la poésie. Ses poèmes hantent ainsi les publications littéraires birmanes depuis 2010. Elle a un temps fait partie du collectif PEMSKOOL (ဝီကီပီးဒီးယား), qui du temps de son existence rassemblait plusieurs jeunes poètes birmans éparpillés en Birmanie, mais aussi ailleurs en Asie du Sud-Est et dans le monde entier. Aujourd’hui, avec deux recueils à son actif – Courier (2013) et You & I (avec sa consœur Cho Pain Naung, 2017) –, Mae Yway fait partie des personnalités marquantes de la scène poétique birmane alternative.
Dans un pays où la poésie a toujours joué un rôle essentiel en tant qu’aiguillon moral, maintenant une lueur d’espoir lors des années sombres de la dictature militaire, les récentes années d’ouverture ont induit chez les artistes le passage de textes chargés politiquement à des textes davantage investis socialement et psychologiquement. Les poèmes de Mae Yway se font ainsi l’écho de revendications grandissantes pour une plus grande liberté d’expression, en provenance notamment des jeunes générations urbaines. L’auteur y affirme son droit à la différence – abordant ouvertement le sujet de sa bisexualité – ce qui ne manque pas de susciter des réactions au sein d’une partie traditionnelle de la société birmane.
Revendiquant l’influence du poète Zeyar Lynn, Mae Yway s’inscrit dans la mouvance dite de language poetry (poésie orale non versifiée) et ses textes sont portés à la fois par un sens du charisme et de l’énigme. D’un côté, lecteurs et auditeurs sont frappés par sa langue habile, ses mots d’esprit et son usage souvent décalé des idiomes birmans. De l’autre, ils ne savent pas toujours où elle compte les emmener. Dans cet entre-deux expérimental, Mae Yway combine une férocité féministe typique des jeunes femmes artistes de par le monde, et la vulnérabilité d’une jeune Birmane en réaction contre le patriarcat de sa société d’origine.
Récemment conviée à Rotterdam pour le 48ème Festival International de Poésie, Mae Yway est aujourd’hui, à son échelle, une des figures de l’ouverture démocratique en cours en Birmanie. Comme un symbole, elle s’est d’ailleurs fait tatouer le mot « changement » en birman sur son épaule droite. En mars 2017, pour contribuer encore à l’élargissement de l’espace public et soutenir l’émergence de nouvelles voix poétiques locales, elle s’est lancée dans l’aventure de l’édition, fondant avec son amie Nay A D la maison 90/91, en référence à la génération à laquelle elles appartiennent toutes deux. Selon Mae Yway, ce qu’elle aime dans la poésie, c’est « l’acte de création, à la frontière entre le conscient et l’inconscient. La poésie comme processus de découverte de soi. » Ainsi qu’elle l’écrit dans un autre de ses textes (« C’est comme essayer de ne pas manger de poulet quand on se fait tatouer », 2017) :
xxxxxÀ quel moment et par où ce sentiment de conscience de soi a-t-il pénétré mon corps ?
xxxxxZeyar Lynn a écrit « un camion de pompiers en proie aux flammes » dans un de ses poèmes
xxxxxEh bien je suis ce camion de pompiers
xxxxxEt il se trouve que je suis entrée dans ce poème et que j’y ai pris feu
MAE YWAY est l’auteur de Et ainsi… janvier, Et ainsi… février et Amour qui tourne mais ne forme pas un cercle complet, trois poèmes traduits du birman par NICOLAS SALEM-GERVAIS et à découvrir dans les pages du numéro 6 de Jentayu.
Photo © Dana Lixenberg.