Numéro 6 Amours et Sensualités

Trois jours, quatorze nuits

Note de lecture

DEPUIS LE DÉBUT des années 2000, Feng Tang (冯唐) s’est acquis une renommée de nouveau trublion des lettres chinoises, à la suite de Wang Shuo (王朔) ; mais, dans les années 2010, il a évolué dans un créneau légèrement différent, et bien plus vendeur : le roman érotique revendiquant l’héritage des grands classiques, dont Li Yu (李渔) et son Rouputuan (《肉蒲团》)1.

Quand on lui demande comment il se définit, il répond qu’il est d’abord audacieux : il a l’audace de s’élever contre les tabous. Sans doute, mais cela ne suffirait pas à lui assurer le succès. Ce qui le sauve, comme écrivain, c’est son immense culture littéraire, dont son nom de plume est une première manifestation.

Gynécologue devenu consultant financier

Feng Tang est né en mai 1971 à Pékin, dans le quartier chic de Sanlitun (三里屯地区). Il s’appelait en fait Zhang Haipeng (张海鹏). Son nom de plume est une référence au prince Teng évoqué dans un poème du poète du VIIème siècle Wang Bo (王勃) : la « Préface au Pavillon du prince Teng » (《滕王阁序》). Malheureux prince qui n’a pas vu ses talents reconnus et n’a obtenu un poste officiel qu’à l’âge de 90 ans, sous l’empereur Wudi des Han. Mais Wang Bo lui-même est en fait la véritable référence : son père disait qu’un homme ne pouvait être accompli sans connaissances médicales, alors Wang Bo a commencé à étudier la médecine dès l’âge de onze ou douze ans, tout en étant aussi un poète précoce.

C’est en gros le chemin suivi par Feng Tang, écrivain post-70 qui a fait des études de gynécologie à Pékin de 1990 à 1998, à la Faculté de médecine de l’Union (Xiéhé Yīkē dàxué 协和医科大学) ; il est spécialiste du cancer des ovaires. Mais, en 2000, il part aux États-Unis faire un MBA à la Goizueta Business School de l’université Emory à Atlanta et se tourne vers le monde des affaires.

Après avoir été consultant chez McKinsey à Hong Kong pendant sept ans, il entre dans le groupe chinois China Resources Holding pour s’occuper du financement des investissements de modernisation des hôpitaux publics. Mais, le président du groupe ayant été mis en cause dans le cadre de la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinpiing, Feng Tang doit démissionner en juillet 2014.

Il part alors en Californie, loue une maison près de Napa Valley pendant trois mois et en profite pour traduire le recueil de poèmes de Tagore « Stray Birds ». Puis il rentre en Chine et, en septembre 2015, devient directeur général d’une filiale du fonds d’investissement CITIC Capital Holdings, en charge des investissements dans le secteur de la santé.

Il publie un premier roman à l’âge de dix-huit ans. Mais ce n’est qu’à partir du début des années 2000, après son séjour aux États-Unis, qu’il commence véritablement à écrire, malgré le peu de temps que lui laissent ses activités professionnelles.

Écrivain en dehors des heures de bureau

Les premiers romans qu’il publie, à partir de 2005, sont des romans d’apprentissage issus tout droit de ses années d’étudiant en médecine, avec un humour vaguement graveleux qui est celui des carabins en Chine comme ailleurs, mais c’est aussi un tableau de la jeunesse urbaine et estudiantine en Chine dans les années 1990. C’est un genre devenu à la mode, sous la houlette de Guo Jingminig ou Han Han. Comme celui-ci, d’ailleurs, Feng Tang a son blog, et même un site maintenant.

Mais Feng Tang ne se borne pas à décrire les émois et peines sentimentales de ses alter-egos. Dans ses romans sans aucun référentiel socio-économique ou politique, et encore moins d’intrigue, c’est l’éveil sexuel qui est au premier plan, comme il l’a expliqué à la sortie de son second roman :

…写作动机非常简单,在我完全忘记之前,记录我最初接触暴力和色情时的感觉。
Mon motif [pour écrire mes romans] est très simple : décrire, avant que je ne les oublie, les sensations du choc explosif de mes premiers émois sexuels…

Ce qui lui fait dire qu’il a l’audace de briser les tabous. C’est en partie ce qui fait de ces romans des bestsellers très prisés des jeunes, qui ont aussi quelque chose de la lumière dorée, légèrement nostalgique, des souvenirs de ceux qui ont vécu leur adolescence dans les années 1960, comme dans le film de Jiang Wen (姜文) « In the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》). Ils se distinguent cependant par un style très personnel…

La suite de la note de lecture sur le site Chinese Short Stories.

SYLVIE GENTIL a traduit du chinois (Chine) Trois jours, quatorze nuits, l’extrait d’un roman de FENG TANG à découvrir dans les pages du numéro 6 de Jentayu.

1. La Chair comme tapis de prière, traduction de Pierre Klossowski (Pauvert, 1979).