Numéro 6 Amours et Sensualités
Cris sous la lune
Note de lecture
LES ÎLES DIAOYU (Senkaku) sont situées à 200 km au Nord-est de Taïwan et à 400 km au Sud-est d’Okinawa. Elles sont inhabitées et ont fait partie, avec Taïwan, des conquêtes territoriales du Japon après le traité de Simonoseki (1895) et la défaite de la Chine. À la fin de la deuxième guerre mondiale, Chiang Kaï-shek refuse d’occuper ces îles ; les États-Unis les retournent au Japon lors du traité d’Okinawa signé en 1970. Protestations de Taïwan et de la Chine Populaire, mais aussi mouvement virulent des Taïwanais étudiant aux États-Unis…
Un étudiant politiquement engagé
Guo Songfen (郭松棻) prépare à cette époque un diplôme à l’université de Berkeley. Il est né en 1938 à Taipei et est diplômé en 1961 de la National Taiwan University. Il y enseigne de 1963 à 1965 et y rencontre sa future femme, la romancière Lee Yu (李渝). Il côtoie ceux qui deviendront les maîtres de la littérature taïwanaise : Bai Xianyong (白先勇), Wang Wenxing (王文興), Chen Ruoxi (陳若曦)…
Après un MA à Berkeley en littérature comparée, il se lance dans l’action politique, le mouvement Baodiao, de défense des îles Diaoyu : des manifestations à Princeton et en janvier 1971, à New York, au siège des Nations Unies. Le mouvement critique les États-Unis mais surtout l’inaction et le régime de Chiang Kaï-shek. Cependant, en octobre 1971, la Chine Populaire est admise aux Nations Unies et la position diplomatique de Taïwan très limitée…
Guo Songfen visite la Chine en 1974 et est très déçu. Il poursuit des études de philosophie et de marxisme et publie quelques essais politiques. Il est interdit de séjour à Taïwan et devra vivre aux États-Unis comme traducteur aux Nations Unies. Il ne fera qu’une seule visite à Taïwan avant sa mort en 2006.
Quant aux îles Diaoyu, elles sont, périodiquement et notamment en 2012, l’occasion d’affrontements diplomatiques entre la Chine et le Japon et de violentes manifestations anti-japonaises.
Un écrivain moderniste, rare et très élégant
Guo Songfen a peu écrit et uniquement des nouvelles. Un styliste élégant, des textes magnifiques, des personnages dont on se souvient. Le premier récit qui l’a fait connaître, en 1984, « Récit de lune » (《月印》) a été traduit en français par Marie Laureillard (Zulma, Paris, 2004) et inclus également dans le remarquable recueil de six nouvelles publié par la prestigieuse collection « Modern Chinese Literature from Taiwan ».
Écrit du point de vue de la femme, Wenhui, il s’agit d’un beau texte très désabusé. À la fin de l’occupation japonaise, Tienmin est tuberculeux et gravement malade. Wenhui l’épouse ; c’est une femme assez traditionnelle, qui n’a guère de conscience politique et pour laquelle son mariage est une priorité.
Bien soigné par sa femme et le docteur Cai, Tienmin se rétablit ; ils montent une bibliothèque de prêt mais Tienmin est rarement là. Il voit un groupe d’amis autour du docteur Cai et de la belle Madame Yang, une militante dont Wenhui est jalouse.
Wenhui les dénonce au commissariat et mentionne notamment une caisse de livres que son mari lui a interdit d’ouvrir. Le groupe, qui a installé un émetteur radio dans le grenier de l’église, sera fusillé. On est dans la période de la Terreur Blanche après l’incident du 28/02/1947, ou l’armée nationaliste massacre des milliers d’habitants de l’île ; cet état d’exception ne se terminera qu’en 1987.
Des nouvelles autour de la lune et des femmes
« Cris sous la lune » (《月嗥》,1984), nouvelle jusqu’à présent inédite en français et présentée dans ce numéro de Jentayu (trad. Marie Laureillard), est le monologue intérieur d’une femme devant le cadavre de son mari dans un funérarium. Elle se remémore leur vie commune de trente ans ; leur absence d’enfants est le symbole de l’échec de ce couple qui n’est jamais parvenu à réellement communiquer. Peu de dialogues, beaucoup d’images, le rythme de la poésie, l’importance des fleurs pour le défunt et la lune, symbole féminin essentiel.
Elle regrette que leur mariage ne se soit pas terminé quand il est parti pour des études de trois ans au Japon, ces trois ans son jardin secret. La visite d’une Japonaise qui a rencontré son mari au Japon et de son fils, nous éclairera sur ce « jardin secret ».
La suite de la note de lecture sur le site My Chinese Books.
GUO SONGFEN est l’auteur de Cris sous la lune, une nouvelle traduite du chinois (Taïwan) par MARIE LAUREILLARD et à découvrir dans les pages du numéro 6 de Jentayu.