Mort En ces temps incertains
L’Histoire de Paina
N° Covid-19
Publiée en 1900 à Batavia, « L’Histoire de Paina » conte le récit de l’obligation faite à Niti Atmodjo, employé d’une sucrerie, de céder sa fille Paina à un certain Maître Briot, gros colon rustre et lubrique. À contre-cœur, Paina emménage avec Briot, non sans avoir auparavant devisé d’un stratagème risqué pour s’extraire de ses griffes.
PAINA ENTENDIT SON PÈRE lui raconter brusquement une histoire qui, en vérité, ne différait guère de cette affaire, dans laquelle Briot, Niti et Paina jouaient leurs rôles, comme si ce dernier plaisantait afin que son cœur s’émeuve et qu’elle consente à suivre ce maître étranger dont les gens avaient peur, faute de quoi, le foyer de Niti serait certainement détruit et il irait en prison.
En écoutant cette histoire, Nji Paina resta coite. Elle s’insurgea et se révolta contre cette funeste affaire qui allait faire d’elle l’esclave d’un porc.
La famille resta assise quelques heures à discuter, mais sans parvenir à un consensus. Niti avait le cœur bien lourd quand, d’une voix tremblante, il rappela les propos de Maître Briot, lequel ne voulait pas d’argent, mais seulement Nji Paina, faute de quoi il ferait jeter Niti en prison, sans la moindre hésitation.
Nji Paina commença finalement à éprouver de la compassion pour son père. Puis elle résolut toute seule l’affaire. Elle resta longtemps assise à réfléchir sans bouger, sans piper mot. Puis elle se redressa brusquement et se campa devant son père, à la manière de quelqu’un venant de résoudre une affaire, en disant : « C’est bon, je vais faire la volonté de Maître Briot et devenir sa concubine. » […]
Nji Paina avait pris sa décision. Elle avait souvent entendu son père ou d’autres personnes raconter que si quelqu’un en bonne santé se mêlait à des malades de la variole, ils lui inoculeraient la maladie qui se propagerait jusqu’à lui, cette maladie se transmettant aisément d’un individu à un autre. Nji Paina s’était déjà résolue dans son cœur à faire mourir Maître Briot de cette manière. […]
Au village de Nji Paina, il y avait quelques personnes atteintes d’une variole fort virulente. Ce jour-là, Nji Paina alla les trouver toutes, toutes ces victimes de l’épidémie.
Elle huma l’air que respiraient les enfants malades. Elle les toucha et embrassa leurs visages dévastés par la maladie, et, avant de se rendre à la maison de Maître Briot, elle alla trouver une femme, également atteinte d’une forme virulente de variole, et l’embrassa à maintes reprises. Puis Nji Paina se rendit chez Maître Briot, qui attendait déjà sa venue avec impatience. Lorsqu’il l’aperçut de loin, il s’approcha aussitôt d’elle, ne cessant d’embrasser la toute belle Nji Paina. Cette dernière dut rester assise toute la journée sur les genoux de Maître Briot, et se laisser embrasser par ce Maître.
Au bout de dix jours, Maître Briot contracta une variole d’une extrême virulence. Malgré les médicaments, il ne recouvra pas la santé. Et quatre jours plus tard, des gens trouvèrent Maître Briot gisant sur le carrelage, devant sa maison. Il semblait visiblement avoir énormément souffert durant la maladie qui allait l’emporter. Nji Paina attrapa également la maladie. Mais elle ne fut pas aussi durement touchée et recouvra rapidement la santé, mais elle garda des cicatrices sur son visage grêlé, si bien que sa beauté disparut à jamais.
Niti par la suite eut un nouveau chef, au cœur sage et généreux, si bien qu’on peut dire que « les bons sont récompensés de leurs bienfaits et les méchants punis de leurs vilenies ». Nji Paina devint par la suite l’épouse d’un riche Javanais. Ils vécurent en harmonie et eurent une bonne fortune jusqu’à leurs vieux jours.
HERMAN KOMMER est l’auteur de la nouvelle L’Histoire de Paina, dont un extrait a été traduit de l’indonésien par ÉTIENNE NAVEAU. Première publication en 1900, puis rééditée in Tempo Doeloe, éd. Pramoedya Ananta Toer (Lentera Dipantara, Jakarta, 1982).
Photographie © Reggiebaay.nl