Souffrances En ces temps incertains

J’erre parmi eux

N° Covid-19

J’ERRE PARMI EUX depuis que j’ai été contraint
De changer de visage au bord de la route, je me sers de leurs yeux
En les suivant, je visite les lieux de loisirs :
Les réalités qu’ils procurent
(Le cinéma du Capitol passe un film américain,
Les nouvelles musiques produisent les rythmes sur lesquels ils dansent)
Nous rentrons, indifférents à tout
Même si en vérité, la Mort sous toutes ses formes est devenue notre voisine
Réunis à l’arrêt de tramway, nous attendons le train qui arrive de la ville
Et se déplace dans la nuit comme les dents du temps
Nous, boiteux et estropiés, négatifs en promesses aussi
Adossons notre peau et nos os aux lampadaires
Pendant que le vacarme des ans continue de parler
La pluie tombe sur nous. Nous attendons le train qui arrive de la ville
Ah, nos cœurs morts ont une prière dans la nuit
Pour ceux qui, dans leur amour, lisent mon écriture
Faites que toutes les syphilis et les lèpres
(Auxquelles s’ajoutent les souffrances engendrées par la bombe atomique)
Puissent être la preuve, le signe de notre souveraineté commune
Accepte mon monde, parmi ceux qui témoignent de ses poisons
J’expérimente l’obscurité ainsi qu’eux, au fond de mon cœur.

1949

CHAIRIL ANWAR est l’auteur du poème J’erre parmi eux, traduit de l’indonésien par ISADORA FICHOU. Première publication in Ipphos Report (Jakarta, février 1949).