Numéro 3 Dieux et Démons

Le génie des eaux

Note de lecture

DE SON VRAI NOM Tong Zhonggui (童忠贵), Su Tong (苏童) est né en 1963 à Suzhou. Son nom de plume est un diminutif pour « Tong Zhongkui, né à Suzhou ». On dit qu’il l’a choisi pour des raisons superstitieuses, parce qu’il n’arrivait pas à faire publier ses premières nouvelles, persuadé de la véracité de l’adage : 《命与名随》(le sort est lié au nom). Il faut croire qu’il avait raison d’y croire, car la chance lui sourit par la suite.

Enfance et adolescence

Su Tong est né dans une famille de quatre enfants ; son père était cadre, sa mère ouvrière. Sa famille, lit-on souvent, n’a eu aucune influence sur son orientation littéraire. Ce n’est pas tout à fait exact. En fait, il a raconté dans une interview1 qu’il doit sa toute première vocation d’écrivain à une grave et longue maladie qu’il a eue pendant son enfance, et aux livres que sa sœur lui a apportés pendant toute cette période.

À neuf ans, en effet, il a eu une néphrite (une inflammation des reins), qui a provoqué, comme c’est souvent le cas, une infection du sang. Il a été soigné par deux spécialistes de médecine traditionnelle chinoise, dont il garde encore aujourd’hui un souvenir très net : l’un s’appelait 陆 (Liù) et l’autre 畀 (), l’un était très beau et l’autre tout maigre, de quoi nourrir une imagination d’enfant et garder un amour profond de la médecine chinoise.

Pendant toute une année, Su Tong dut rester chez lui sans pouvoir aller à l’école. De toute façon, c’était en pleine Révolution culturelle, il n’y aurait pas appris grand chose. Plus intéressants étaient tout simplement les murs du couloir de la maison : comme souvent à l’époque, les murs en étaient couverts de pages de journaux en guise de papier peint, et Su Tong allait les lire tous les matins, après avoir ingurgité ses potions, en décollant des morceaux pour pouvoir mieux les lire. Cela rappelle Yu Hua, à peu près au même moment, lisant les affiches collées sur les murs en revenant de l’école.

Surtout, il attendait avec impatience sa grande sœur, alors au lycée, qui lui rapportait des livres interdits qui avaient été confisqués par les Gardes rouges : « Le rouge et le noir », « Résurrection »… Ce fut le meilleur médicament contre la solitude, et ce seront aussi ses premières influences. Il les complètera plus tard par Faulkner et Hemingway, García Márquez et Borges, et même J.D. Salinger, ses auteurs préférés, dont on retrouve la marque dans ses nouvelles.

Premières publications

En 1980, il est admis à l’Université Normale de Pékin, pour faire des études de littérature chinoise (北师大中文系). À l’époque, il se voit plutôt poète et s’astreint à des règles strictes : tous les matins, il écrit un poème qu’il se lit tout haut avant d’aller en cours. Mais un jour, tombant sur un poème de trois lignes d’un de ses camarades, il le trouve tellement supérieur à tout ce qu’il écrit qu’il décide qu’il n’est pas fait pour la poésie et se tourne vers la nouvelle.

En 1983, la revue《青春》(La Jeunesse) en publie une : 《第八个是铜像》(la huitième est une statue de bronze). La nouvelle, en outre, obtient un prix : c’est un grand encouragement pour Su Tong. Il dira cependant plus tard, en se moquant de lui-même, que, à cette époque, il était comme « un arbre tordu » (像一棵歪歪斜斜的树).

En 1985, il est affecté à un lycée de Nankin (à l’époque c’est encore le gouvernement qui assigne les postes). Son rôle est d’aider les étudiants (dont certains sont plus âgés que lui) à décrocher des bourses  d’études. Son travail ne le passionne pas, et il n’a guère de contact avec les autres enseignants. Il passe une partie de ses nuits à écrire, arrive en retard le matin avec une tête de déterré : il n’est pas beaucoup apprécié. Mais il se fait des amis, en revanche, dans les cercles littéraires de Nankin.

Il entre alors comme éditorialiste au magazine littéraire 《钟山》(Zhōngshān)2, ce qui lui permet non seulement de découvrir des nouveaux talents, mais aussi de commencer à publier ses premières œuvres, en particulier《桑园留念》(sāngyuán liúniàn, Souvenirs du jardin des mûriers ) et《妻妾成群》 (qīqiè chéngqún, le célèbre « Épouses et concubines » qui, au départ, passe inaperçu).

La suite de la note de lecture sur le site Chinese Short Stories.

BRIGITTE DUZAN a traduit du chinois (Chine) Le génie des eaux, une nouvelle de SU TONG à découvrir dans les pages du numéro 3 de Jentayu.

1. Publiée sur le site de l’agence Xinhua, le 23 avril 2009, à l’occasion de la sortie de son dernier livre, 《河岸》.

2. Ce magazine, créé en 1979, est vite devenu un des magazines littéraires chinois de référence.

Illustration © Katie Ying.