Numéro 4 Cartes et Territoires
La route qui mène à la source du désert
Note de lecture
ÉCRIVAIN VIVANT au Xinjiang où elle a passé une bonne partie de son existence, Li Juan (李娟) a récemment émergé de ces marges encore lointaines de la Chine et de sa littérature pour prendre une place à part dans les lettres de cette province. Écrivain han dans une région kazakhe, elle se distingue par une voix d’une extrême sensibilité et une personnalité qui assume son altérité.
Reconnue aujourd’hui par les grands noms de la littérature chinoise, bien que restant farouchement en dehors des cercles officiels, elle a en particulier été louée par Wang Anyi (王安忆) qui a contribué à la faire connaître auprès de ses pairs ; son appréciation de Li Juan – qui répond par sa propre sensibilité à la sienne – est la meilleure introduction que l’on puisse trouver à son œuvre :
« 她的文字一看就认出来,她的文字世界里,世界很大,时间很长,人变得很小,人是偶然出现的东西。那里的世界很寂寞,人会无端制造出喧哗。 »
« Dès qu’on les lit, ses écrits se distinguent tout de suite ; dans son univers, le monde est immense, et le temps s’étire sans fin, l’homme en revanche est minuscule, une petite chose qui apparaît par hasard. C’est un monde silencieux, où le vacarme des hommes n’a pas de raison d’être. »
Le Xinjiang comme terre d’élection
Depuis la conquête de la région du Nord-Ouest par l’empire des Qing et plus encore après l’établissement de la province de la « Nouvelle frontière » (Xinjiang, 新疆) en 1884, le Xinjiang a fait office de terre d’exil pour les empereurs désireux d’éloigner des ministres à mettre au pas. Devenu Région autonome ouïghoure le 1er octobre 1955, le Xinjiang a de nouveau été destination d’exilés lors des grandes migrations de la Révolution culturelle.
En même temps, la région a exercé une vive fascination sur ses nouveaux arrivants et suscité une riche littérature dont Li Juan est l’une des récentes manifestations. Le Xinjiang, ou plus précisément la région de l’Altaï, est sa terre d’élection, et l’univers qui nourrit son œuvre.
Li Juan est née un soir de juillet 19791 dans la préfecture autonome kazakhe de l’Ili (伊犁哈萨克自治州), à l’extrême nord du Xinjiang, dans un petit village de la ville-district de Wusu (乌苏市), dans la juridiction de la ville-préfecture de Tacheng (塔城). Le village dépendait traditionnellement de la division de Kuitun (奎屯) du Corps – ou bingtuan – de production et construction du Xinjiang (新疆生产建设兵团) qui a été aboli en 19752.
La famille de Li Juan, cependant, était originaire de Lezhi (乐至县), au Sichuan ; c’est là qu’elle a grandi. Elle y est restée onze ans avant de revenir au Xinjiang, et ne plus jamais en repartir, faisant de l’Altaï son cadre de vie ; elle a néanmoins changé souvent d’adresse à la manière des nomades, ce qui lui a laissé une phobie des déménagements : elle déteste partir de chez elle, dit mal dormir en voyage ; elle est devenue casanière, solitaire et repliée sur ses pages d’écriture. Elle vit maintenant à Kanas (喀纳斯), dans le district de Burqin (布尔津县).
Sa mère était couturière, et la famille tenaiten outre un petit magasin qui vendait un peu de tout, et qu’elle décrit installé comme ceux des nomades sous une tente (帐篷小店), d’où ces va-et-vient récurrents qui l’ont affectée. Mais c’était une affaire de pionniers, florissante à un moment où les communications étaient très difficiles dans la région, mais qui a aujourd’hui de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, car l’ouverture de nouvelles routes a avivé la concurrence.
Li Juan a arrêté ses études à la fin du secondaire et a commencé à travailler, à Urumqi. C’était un travail manuel, pénible et répétitif. En même temps, la seule chose qui l’intéressait vraiment, et le seul domaine où elle était bonne en classe, c’était l’écriture. C’était la seule chose, aussi, qui lui était accessible. Les ressources familiales ne lui permettaient pas de faire des études artistiques, et elle n’avait pas une santé suffisante pour entrer dans l’armée.
Finalement, à la fin des années 1990, elle a écrit un texte, qui a été publié en 1999. Sa carrière était lancée (…)
La suite de la note de lecture sur le site Chinese Short Stories.
BRIGITTE DUZAN a traduit du chinois (Chine) Le génie des eaux, une nouvelle de SU TONG à découvrir dans les pages du numéro 3 de Jentayu.
Illustration © Public Child.