Numéro 3 Dieux et Démons
Orages de la vie
Note de lecture
NÉ EN 1958 dans une famille paysanne au nord du Laos, Dao Neua est le quatrième garçon de la famille et l’aîné de deux jeunes sœurs. Ses trois frères aînés sont décédés de diverses maladies. Ses parents, tous deux paysans, propriétaires d’un petit lopin de terre, assurent difficilement les besoins de la famille. Seul Dao Neua a la chance de fréquenter l’école élémentaire du village. Réfugié au début de l’année 1969 dans la région de Vientiane suite aux offensives des forces nationalistes du Pathet Lao, le jeune garçon peut poursuivre sa scolarité dans la capitale, grâce à la générosité d’un moine bouddhiste. Comme bon nombre des ses amis collégiens provinciaux ou réfugiés, il bénéficie du logement et des repas au sein même de la pagode. Ses parents, par chance, sont employés en tant que jardiniers dans une résidence secondaire d’une riche famille à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale.
Dao Neua a commencé à écrire dès son adolescence : quelques poésies dans la revue de son collège, des petits romans dans les magazines, et finalement, dans les journaux nationaux, des articles très critiques concernant les injustices sociales dès 1974. Ses points de vue souvent directs et acerbes dérangent mais le jeune auteur est aimé et soutenu par l’immense majorité de ses lecteurs, tous âges confondus, qui attendent ses écrits avec impatience. Par précaution, afin d’éviter des ennuis avec les autorités de l’époque, l’auteur utilise plusieurs pseudonymes, parmi lesquels : Dao Neua (étoile du nord), Pā Fêk (poisson de rizière doté de redoutables arêtes), ou Dork Hak (nom d’une fleur). D’autres auteurs de sa génération prennent aussi des noms symboliques tels que : Douang Champa (le frangipanier), Dork Fāng (Fleur de flamboyant), Matsa Lamsam (Poisson du fleuve Sam), Nak Hiane Gning (L’étudiante), etc.
L’identité réelle des auteurs est alors peu ou mal connue. Les noms de pierres précieuses, de fleurs, d’arbres rares, d’étoiles sont en quelque sorte à la mode. Beaucoup d’auteurs s’ingénient à brouiller les pistes. Ils ne cherchent même pas à être reconnus pour leurs œuvres. Les titres des romans sont eux-mêmes très imagés et il n’est pas rare qu’ils s’inspirent de l’environnement naturel ou social de l’auteur. L’essentiel, c’est d’écrire coûte que coûte, sous différentes formes, pour dénoncer la situation sociale en cours et par la même occasion réclamer un changement. De par sa situation sociale et familiale, Dao Neua est considéré comme quelqu’un qui a beaucoup de chance. Il a eu l’opportunité de poursuivre ses études – ce qui n’est pas le cas des jeunes de son âge, surtout ceux issus des ethnies montagnardes. Il n’est pas pour autant satisfait de sa situation. Dès qu’il quitte l’enceinte de la pagode, les inégalités sociales lui sautent aux yeux. Seule l’écriture, souvent de nuit et en cachette, lui permet de calmer sa révolte face à ces inégalités.
Orages de la vie de Dao Neua a été publié au Laos en 1979 par l’Imprimerie Nationale, quatre ans seulement après le changement du régime. C’est de ce fait un roman classé dans la mouvance idéologique révolutionnaire ou plus exactement dans la littérature populaire et patriotique ; populaire certes mais influencée, voire tiraillée entre les visions nationalistes et les traditions séculaires laotiennes. Dao Neua résume à travers Orages de la vie tout un contexte politique et social. Ayant commencé à écrire avant 1975, il a vivement critiqué les inégalités sociales sous le régime du gouvernement royal, et réclamé des changements. Entre 1974 et 1975, le gouvernement royal s’effondre et le gouvernement communiste se met en place, et promet des changements révolutionnaires. Des manifestations agitent le pays : les accusations fusent, la foule devient presque hystérique et exige une justice immédiate.
Dans toutes ses œuvres, Dao Neua dénonçait l’injustice et réclamait sa disparition. Il devrait donc être satisfait, mais il va brutalement découvrir la réalité révolutionnaire du nouveau régime, et le désarroi de ses compatriotes confrontés aux nouvelles autorités. Beaucoup de ses amis ont été emprisonnés, plusieurs dizaines de milliers de ses concitoyens ont déjà traversé le Mékong. Certains ont été exécutés pendant leur fuite. Le jeune écrivain se trouve pris dans de nombreuses contradictions. Le régime communiste lui paraissait apte à établir la justice sociale qu’il réclamait ; mais ce régime s’oppose frontalement au clergé bouddhiste, garant des valeurs spirituelles, à qui Dao Neua doit beaucoup : il a été logé et nourri dans une pagode à Vientiane, il considère le vénérable bonze de la pagode comme son père spirituel.
DAO NEUA est l’auteur d’Orages de la vie, un roman dont un extrait traduit du laotien par KHAMPHANH PRAVONGVIENGKHAM est à découvrir dans les pages du numéro 3 de Jentayu.
Illustration © Katie Ying.