La crise En ces temps incertains

La coronapocalypse sera télévisée

N° Covid-19

Ce ne sont pas les oiseaux que vous entendez,
seulement leurs contours en creux dans le ciel.
-Anselm Berrigan

LE SILENCE N’EST JAMAIS enchanteur dans cette république.
Nous croyons en la procession, en la parole,
nous honorons nos morts, sans nous taire
une minute, mais en descendant dans la rue
tambours battants. C’est ainsi que nous accueillons le chagrin.

Avec pétale de rose et breuvage et membres dansants.
Nous ne sommes pas du genre à nous coudre les lèvres en protestation,
ni à devenir fous si vous nous pendez par les pieds
confrontés aux cris de lapins agonisants.
Nos dieux aiment les cymbales.

C’est autre chose qui nous tue — le champ
d’herbes à l’infini, le rien perpétuel.
Comment pouvez-vous le supporter ? Il y a toujours eu
deux catégories de gens : ceux qui ont le courage
de vivre près des volcans,

et ceux qui écrivent des lettres aux voisins,
leur demandant à quelle heure battre les tapis,
et serait-il possible de baisser un peu le piano ?
Ce chant funéraire est différent. Il nous réclame
de mourir seul, de plonger dans un puits les poumons en flammes,

pour nous rendre compte qu’il n’y a pas d’eau, qu’on se noie
sur la terre ferme. Nous pouvons toujours taper sur les casseroles et les poêles
depuis nos balcons, nous pouvons envoyer des mots de remerciement
dans des lanternes célestes, afin que ceux vivant
sur d’autres planètes soient témoins de notre désintégration.

Voient-ils comme nous sommes tristes, atterrés ?
Voient-ils nos mouvements d’acteurs de film muet,
nos gestes sauvages et saccadés. Rient-ils
de l’ironie des intertitres du gouvernement :
« Respirez calmement ! » & « Ne vous inquiétez pas ! »

« Rien ne fera chavirer l’Économie ! »
Qui eût cru que la fin serait si absolue ?
Nous chutons puis nous relevons, la boue
sur les genoux trop affamés pour crier, un invisible
orchestre de violons nous dirige depuis les coulisses.

TISHANI DOSHI est l’autrice du poème La coronapocalypse sera télévisée, traduit de l’anglais (Inde) par AMANDA SHERPA-ATLAN. Première publication in The Indian Express (Noida, 12 avril 2020).