Au front En ces temps incertains

Ne pas déranger

N° Covid-19

Le poème qui suit a été écrit par Wei Shuiyin (de son vrai nom Long Qiaoling), qui a fait partie du corps infirmier affecté à l’un des douze hôpitaux d’urgence Fangcang construits à Wuhan afin de lutter contre l’épidémie de coronavirus. Long Qiaoling exerce habituellement à l’Hôpital du Peuple, dans la province du Gansu. Dès qu’elle a appris que Wuhan faisait face à un besoin urgent de personnel médical, elle s’est immédiatement portée volontaire. Son post d’origine, comprenant quatre poèmes, a été rapidement effacé du réseau social WeChat mais a pu être sauvegardé sur le site China Digital Times.

PERMETTEZ-MOI SEULEMENT d’ôter ma blouse, mon masque
D’extirper ma chair de cette carapace
Laissez-moi adosser au mur ce corps
Calmement, respirer.
Ah…
Je vous laisse les slogans
Je vous laisse les louanges
Les travailleurs modèles et autres boniments — eux tous vous appartiennent
Je ne fais qu’accomplir le devoir qui m’échoit
De soignant, d’une conscience qui sauve
Même si cela implique d’aller au front — d’y aller nu
Quand la vie, la mort n’attendent pas nos choix
On se passe bien des idéaux grandioses
Épargnez-moi donc les couronnes florales
Les applaudissements
Les « risques du métier », les « héros », les médailles
Wuhan, je n’y suis pas venue voir les cerisiers renaître
Ni récolter les lauriers, les ronflants encensoirs
Que l’épidémie s’achève, pouvoir rentrer chez moi
Même réduite à un tas d’os
Que je devrai rapporter moi-même à mes enfants, à mes parents
Une question :
Qui accepterait d’étreindre les cendres de ses compagnons
Pour reprendre le chemin du retour ?
Aux médias :
Cessez donc de venir me déranger
Vos vérités et vos statistiques
Je n’ai ni de temps ni de cœur à leur consacrer
Le labeur d’un jour, d’une nuit
Le repos, le sommeil
Sont plus que vos louanges, eux des nécessités
Si vous le pouvez, allez-donc voir plutôt
Si aux cheminées des foyers sinistrés
De la fumée s’élève de nouveau
Et si les téléphones, vagabonds des crématoriums,
Ont retrouvé leur propriétaire.

WEI SHUIYIN est l’autrice du poème Ne pas déranger, traduit du chinois (Chine) par CORALINE JORTAY. Première publication sur WeChat, puis archivé in China Digital Times (18 février 2020).

Illustration © ababil12/Getty Images.