Au front En ces temps incertains

La grande guerre de la Covid-19

N° Covid-19

L’autrice de cet essai, reconnue pour ses écrits, exerce comme médecin et enseigne dans le département d’obstétrique de l’hôpital de Phichit, hôpital qu’elle a elle-même fondé.

NOS ANCÊTRES SONT APPARUS sur terre en tant que choses animées de vie il y a quatre milliards six cent millions d’années.
Quand le monde est né, une cellule unique a évolué pour devenir plus tard un être humain. Mais concernant notre propre lignage, nous n’étions pas des cellules, nous étions incapables de nous mouvoir, de chercher de la nourriture, de nous développer. Et puis il a été donné à une cellule douée de vie de réussir à nous construire.
Alors nous avons reçu le nom de virus, éléments vivants dotés d’une structure simple, une particule de protéine dont le noyau contient notre patrimoine génétique. Certains ont une coquille protéique, d’autres pas. Les protéines prennent différentes formes pour se fixer sur les cellules vivantes.
Lorsque les humains sont devenus la seule espèce nuisible pour le monde, ils se sont multipliés de toute part et se sont pressés en foule, luttant pour la nourriture, pour l’habitat. Ils ont envahi l’environnement, créé la pollution, tué les animaux sauvages pour se nourrir, se sont fait du mal à eux-mêmes. La tâche que nous ont transmis nos ancêtres virus est de leur faire la guerre, de détruire les faibles humains pour rétablir l’équilibre de la nature.
La grande guerre entre les virus et les humains se produit dans le monde entier par vagues. Parfois on perd, parfois on gagne. Quand nous perdons, on en tire les leçons, on se cache, on se répare, on mute, on transforme notre structure, notre noyau, les protéines et la coquille protéique. Et quand nous sommes prêts, nous allumons le feu à nouveau, nous déclarons la guerre, on s’étend, on se disperse jusqu’à provoquer une grande guerre mondiale.
C’est une capacité du génie génétique des virus de pouvoir resurgir après s’être caché pendant des décennies, avec une structure nouvelle, une nouvelle armure graisseuse, des protéines épineuses en forme de couronne. Le noyau est une unité héréditaire d’ARN difficile à tuer. Les épines envoient un signal de ACE2. Dans le corps humain, les membranes du système respiratoire, digestif, du foie, des reins, ont de nombreux récepteurs du signal de ACE2 pour contrôler la pression sanguine.
Quand on a envoyé les signaux qu’on était prêts à l’attaque, on a lancé les hostilités depuis un tout petit marché de Wuhan. C’était début décembre 2019. Il y avait des animaux sauvages en cage à vendre en grande quantité. Le temps très froid a permis à notre armure graisseuse de protéger solidement notre noyau porteur de l’unité génétique. Une première armée virale s’est infiltrée dans la salive versée dans un dernier râle par des roussettes de Lyle suspendues à un rail au milieu du marché. Elle a pu ainsi entrer en contact avec les Chinois venus faire leurs courses.
Dès que l’on a pu envahir le corps humain par la bouche, le nez et les yeux, les cellules des muqueuses ont reçu les signaux ACE2, ce qui nous a aidé à nous accrocher dix fois plus solidement que les virus du passé.
Nos épines obligent les cellules humaines à libérer une enzyme nommée furine qui nous permet de décupler notre pouvoir et notre force pour pénétrer facilement les cellules. Nous pouvons alors commander aux noyaux des cellules humaines de générer des millions de petits virus au point que les cellules, gonflées à l’excès, se divisent et se dispersent, nous emportant avec elles jusqu’à leur destruction.
Si l’immunité des humains était plus forte, nous n’aurions aucune chance de gagner, elle nous tuerait tous. Mais, en vérité, l’immunité humaine est très faible partout dans le monde. Bien manger, se laisser aller, ne pas faire d’exercice physique, mener une vie pleine de vitesse et de stress, voilà ce qui provoque plein de maladies. De plus, nous sommes une nouvelle forme de virus, les humains ne savent pas comment lutter. Il n’y a pas de traitement spécifique, pas de vaccin, et l’immunité humaine ne nous connaît pas. Nous pouvons ainsi tirer de droite et de gauche des armes lourdes et mortelles pour que les cellules s’autodétruisent complètement, mettant tout le système hors service. Nous prenons les vies, les unes après les autres.
Dans le mois qui a suivi l’attaque à Wuhan, et jusqu’à ce que les médecins s’alarment, nous avons rendu malades plus de cinquante Chinois avec une pneumonie. Les scientifiques chinois ont alors découvert la cause de cette maladie : un virus de forme épineuse similaire à une couronne. Ils nous ont donc appelés « Coronavirus », abrégé en « Covid-19 » en raison des débuts de l’épidémie en 2019.
En janvier 2020, un premier mort infecté par la Covid-19 est identifié à Wuhan. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième… L’information de l’arrivée d’une nouvelle épidémie virale est diffusée à toutes les agences de santé publique dans le monde. Mais nous ne pensons pas que tous les pays vont se préparer en conséquence, nous connaissons le comportement humain depuis longtemps : tant qu’il n’y a pas de cadavres, il n’y a pas de larmes et chacun reste dans sa petite vie. Cela nous procure de nombreux avantages et l’issue de cette grande guerre n’est pas difficile à prédire.

Il y a un pays d’Asie, un pays en forme de hache de Thor, qui enrage après nous depuis la préhistoire. Nous n’avons pas encore gagné la guerre contre lui. Bien que ce soit un pays qui n’a rien de bon, il nous résiste. C’est un état pauvre, dont les habitants sont sans éducation, paresseux et idiots. La corruption est partout, la population manque de discipline, se divise en couleurs, il n’y a pas d’unité. C’est une éternelle querelle pour déterminer si le pays est démocratique ou pas, il y a de nombreuses manifestations. Le système de santé publique y est déficitaire, il n’y a pas d’instruments modernes, les médecins hospitaliers manquent, ainsi que les lits en soins intensifs. Sur les 70 millions d’habitants, plus de 10 millions sont très âgés. Sans parler d’épidémie, les maladies chroniques font déjà 300 000 morts chaque année.
À chaque nouvelle attaque, le département de virologie a pensé que c’était un événement ponctuel. Dix ans plus tôt, en 2009, nous sommes apparus sous la forme de la grippe. Cette guerrelà a fait une bonne centaine de milliers de morts de par le monde. Dès que nous sommes entrés dans ce pays, une longue vague de chaleur intense s’est déclenchée, ce qui a nous a obligés à refluer. Pour cette guerre-ci, les autorités ont encore répété que c’était occasionnel. La vengeance du virus ancestral doit s’exercer pour la destruction totale de ce pays dont la devise est « quoique tu fasses, fais-le tranquille selon ton cœur ». Nul doute que, dans la situation d’aujourd’hui, nous allons remporter une victoire facile et rapide sur ce pays de Bisounours.
Le fait est que ce beau pays a des problèmes de santé qu’il n’arrive pas à résoudre. À commencer par les particules fines PM 2.5 qui bombardent les villes et les recouvrent d’un brouillard poussiéreux. On ne voit pratiquement plus le ciel. Un nombre incalculable de gens meurent de maladies des voies respiratoires. Il faut considérer aussi les épidémies de dengue et de chikungunya qui se propagent par les moustiques. À l’origine, ces maladies-là se développaient tout spécialement pendant la saison des pluies, mais à présent, les moustiques ont évolué et sont là toute l’année. Il y a aussi le problème important de la santé mentale. On estime qu’une personne sur cinq est atteinte de problèmes mentaux dans ce beau pays. Et, ce qu’on n’avait jamais vu avant, un tueur fou a mitraillé la foule, faisant trente morts.
Dès que la nouvelle de l’épidémie de la Covid-19 a été connue, le département de santé publique a mis en place en quelques jours un centre d’opération d’urgence. Le premier patient chinois infecté par la Covid-19 qui a pris un avion pour venir se promener dans le beau pays a pu être contrôlé par le département de médecine, ainsi que tous les autres voyageurs en provenance de Chine. Une fois guéris, ils ont été renvoyés chez eux. L’administration a commencé à bouger pour traiter la Covid-19 selon la routine habituelle, mais pas le centre des opérations. Tous les hôpitaux, aussi bien dans la capitale qu’en province, ont été alertés, mais dans chaque endroit, c’est le même combat : ne compter que sur soi-même, chercher des fonds pour acheter du matériel de protection contre les germes des personnels médicaux, préparer des salles stériles et de soins intensifs, se procurer des instruments, des médicaments. Il faut aussi apprendre à examiner, à diagnostiquer et à soigner, grâce à l’expérience développée dans les pays étrangers, qui, en cette période, sont ravis d’apporter leur aide pour soigner la population.
Le problème, ce sont les masques sanitaires de protection. Onze entreprises dans le pays pouvaient en produire un million par jour, mais quand l’épidémie de Covid-19 est arrivée, tout a disparu ! On pouvait encore en trouver un peu, mais dix à vingt fois plus cher qu’avant. La rumeur dit que des petits malins sont allés les vendre en Chine plus de vingt fois le prix.
Dans tout le beau pays, les hôpitaux ont manqué d’équipements de protection. Le seul moyen pour les personnels hospitaliers était de les acheter sur leurs propres deniers et de les distribuer autour d’eux. Les équipements personnels de protection produits à l’étranger sont introuvables, alors il faut acheter des capes de pluie bon marché à la place.
Et puis un bruit a couru, de bouche à oreille, de réseau social en réseau social.
Les ASM (volontaires dans les villages entraînés aux pratiques de la santé publique ; dans tout le pays, il y en a plus d’un million, un pour quinze foyers) ont informé la population que tout le monde devait participer à la création de masques pour que les masques sanitaires, les N95, soient réservés au personnel hospitalier qui lutte contre la Covid-19. Tous les masques doivent être lavables et réutilisables selon les consignes de la faculté de médecine.
Quand nous, virus, avons observé la situation d’en haut, nous avons pris peur. Toute la population du beau pays est venue en masse apporter les masques N95 et les tenues de protection qu’ils avaient pour les donner aux hôpitaux. Toutes les familles, les jeunes, les vieux, même les handicapés, ont obéi et ont cousu des masques sanitaires qu’ils ont ensuite offert aux autorités. Certains les ont tout simplement suspendus à leur clôture pour que les gens puissent les prendre librement. En plus de ce matériel, dès que qu’il a été annoncé que les hôpitaux étaient accablés par la pénurie, des gens de tout le pays sont venus offrir leur fortune en masse.
Et pourtant, en février 2020, nous étions heureux. Après trois mois de guerre, les hôpitaux n’avaient pas de médicaments, pas de vaccin, pas de matériel, pas de respirateurs artificiels, pas de chambres stériles. Les lits manquaient dans les unités de soins intensifs. Il n’y avait aucun moyen efficace de lutter contre la Covid-19, et ce encore plus dans les pays où des gens cupides spéculent sur les équipements. Les médecins hospitaliers sans équipements de protection sont comme des soldats qui se battraient à mains nues. Pas besoin d’être devin pour savoir comment ça va finir.

Quand la Covid-19 a envahi le beau pays, ça s’est passé comme partout ailleurs : un certain nombre de personnes infectées ont circulé sans arrêt et à partir d’une personne venue de l’étranger les cas se sont multipliés. Mi-février, il y avait vingt personnes contaminées, mi-mars, il y en avait plus de cent. L’hôpital « Citoyens du beau pays », construit lors d’une épidémie précédente, s’est déclaré prêt à recevoir les malades de la Covid-19. Tous les médecins volontaires, même retraités, sont appelés à y venir en renfort. L’ensemble des personnels médicaux s’est mobilisé pour échanger des données et les expériences sur les soins apportés, les symptômes, le diagnostic, la prise en charge, les traitements qui peuvent fonctionner. Le service de contrôle des maladies informe la population sur la Covid-19 et les consignes sont celles inspirées par les épidémies de grippe, apprises par cœur : « Se laver souvent les mains, mettre un masque, manger chaud, utiliser une seule cuiller, cesser de sortir la nuit, garder une distance physique de deux mètres. »
À la mi-mars 2020, le gouvernement a convoqué les experts de l’épidémie afin de faire des propositions. Le doyen de la faculté de médecine a apporté les informations suivantes :
« Excellence, M. le Premier Ministre, la situation mondiale de l’épidémie de la Covid-19 est inquiétante. Une vague d’épidémie est partie de l’Asie vers l’Europe, l’Amérique, l’Afrique, tous les continents ont été atteints en un mois. Il y a à présent plus de cent mille cas de contamination, environ six mille décès, et l’épidémie s’étend dans chaque pays. Dans le beau pays, les autorités sanitaires pratiquent tous les jours des dépistages dans les aéroports et dans tous les lieux sensibles. Depuis les premiers cas à Wuhan, la surveillance des symptômes de fièvre, de toux et de fatigue est mise en place sur tous les voyageurs arrivant de pays à risques, ce qui a concerné environ six mille personnes. Les hôpitaux de tout le pays observent une surveillance stricte.
« Il y a actuellement cent quatorze cas de contamination et un décès. Les personnes contaminées mais ne présentant pas de symptômes doivent être confinées en quatorzaine. Aujourd’hui, dans le pays, il y a un nombre limité d’hôpitaux, aussi bien publics que privés, qui ont des chambres stériles, du matériel, des médicaments et qui sont prêts à recevoir l’épidémie de la Covid-19. Il y a peu de lits en soins intensifs. Or selon nos calculs, le taux de reproduction passera de 1.4 à 2.5 en avril 2020, le pays comptera de deux à trois cent mille cas, dont vingt à trente mille qui nécessiteront des places en soins intensifs que les hôpitaux seront incapables de fournir.
« Voici donc les propositions de la faculté de médecine pour contrer la Covid-19 :
1. Permettre la contamination naturelle pour qu’un grand nombre soit infecté. Il y aura beaucoup de malades sévèrement atteints, il faudra choisir un traitement. Les plus faibles, environ cent mille, mourront. Et alors, en trois mois, la maladie reculera, le reste de la population sera immunisée.
2. Retarder la maladie, à condition que toute la population respecte la prévention de la contamination. Il faut ordonner la fermeture du pays, des villes, des lieux où il y a beaucoup de monde. Interdire les foules, comme dans les aéroports, les stades de boxe, les écoles, les universités, les hôtels, les restaurants, les lieux de loisirs, les centres commerciaux, les marchés et cesser la vente d’alcool. Ainsi la Covid-19 se répandra lentement, les hôpitaux pourront accueillir les malades. Mais cela prendra longtemps pour que la Covid-19 disparaisse du beau pays. »
En soupirant, le Premier Ministre a conclu la réunion par ces mots :
« Merci à vous tous, médecins, qui apportez de l’espoir au pays. La vie de tous les habitants est précieuse, peu importe qu’ils soient pauvres ou riches. C’est le devoir du gouvernement de protéger la vie des citoyens. Je vais promulguer une loi indiquant que dans le cadre de cette nouvelle maladie, les soins, les tests, l’hébergement et la nourriture en milieu hospitalier seront gratuits. Je vais ordonner aux compagnies aériennes de rapatrier les citoyens du beau pays avec de strictes mesures de protection. Et pour fermer les villes, fermer le pays et différents lieux, je vais d’abord communiquer vos recommandations au département de la sécurité intérieure pour évaluer les répercussions économiques et sociétales et chercher un moyen de les contrer. »
Un jour seulement après la consultation des autorités médicales, le Premier Ministre a annoncé l’état d’urgence et a fermé les villes, le pays, différents lieux à risques. Et dans plusieurs départements, il a interdit aux gens de sortir, imposé une quatorzaine à ceux qui voulaient y entrer, et ordonné un couvre-feu dans tout le pays avec interdiction de se promener entre 22h et 4h du matin.
Tout d’un coup, la capitale a été plongée dans le calme, les rues se sont vidées, les lumières des centres commerciaux se sont éteintes. Pas de bruit de voitures, pas de musique. Les hôtels, les usines, les pubs, les bars ont débauché leurs employés, même la loterie ne fonctionne plus.
Dans ces conditions, les répercussions sur l’économie, déjà fragile, sont terribles. Aux dix millions d’indigents viennent s’ajouter vingt millions de personnes ayant perdu leur emploi. La pauvreté est visible partout.
Nous virus, c’est une histoire qui nous fait bien rire. Le peuple du beau pays ne respecte plus les règles depuis bien longtemps. Par exemple, le code de la route est un échec total ! Pour passer les feux rouges, les gens accélèrent exprès… Pendant la fête de l’eau, au mois d’avril, il y a une centaine de morts chaque année à cause du non-respect du code routier. Alors si on ferme les villes, si on réfrène leurs envies, est-ce qu’ils vont vraiment suivre les ordres ?
Mais nous avons quand même eu peur, à nous en hérisser les épines.
Dans ce beau pays où chacun fait ce qu’il veut, tout le monde s’est mis à porter le masque sanitaire. Ils entrent séparément dans les files d’attente selon les règles établies, ils se positionnent sur les empreintes et détournent leur visage dans les ascenseurs. Pour les aumônes, le système s’est inversé, ce sont maintenant les bonzes qui donnent de la nourriture à la population. Devant les maisons, il y a des boîtes de nourriture disposées pour les gens qui ont faim. Il y a des annonces de dons de toute part et de nombreuses fondations aident les sans-abris, les chômeurs, les personnes âgées, les enfants, les handicapés…
Les gens retirent de l’argent au distributeur pour le donner à des individus qu’ils ne connaissent même pas. De nombreuses personnes attendent de recevoir les offrandes placées dans le coffre ouvert des voitures des donateurs. Dépendant les uns des autres, ils se parlent poliment, sans dispute, tous dans le même esprit, ils se saluent d’un wai1 respectueux. Il y a des histoires de gens en détresse parce qu’ils ont perdu leur travail et n’ont plus rien à manger, avec des enfants en bas âge, des malades avec beaucoup de difficultés, alors la population donne beaucoup d’argent, à tel point qu’il a fallu arrêter les dons.
Il y a même un passager qui a entendu son chauffeur de taxi essayer d’emprunter de l’argent par téléphone pour payer un cercueil à sa femme morte dans ces temps difficiles. Alors il a pris l’argent qu’il venait de retirer pour payer son loyer et l’a donné au chauffeur. Les gens du beau pays s’entraident, se sèchent mutuellement les larmes. On voit partout, tout le temps, des images de gens plein de gentillesse qui offre leur aide aux plus démunis, des images de personnes levant les mains en wai pour remercier, le visage en pleurs.
Sur toutes les routes, des agents municipaux et des volontaires contrôlent très sérieusement les gens qui entrent et sortent des départements. Sous un soleil de plomb, complètement trempés de sueur, ils résistent avec force à la Covid-19, et cela avec succès. En effet, le nombre de personnes contaminées a commencé à baisser plus que dans les estimations. Après l’annonce des mesures préventives en mars, il y avait une centaine de nouveaux cas d’infection à la Covid-19 par jour. On comptait en tout 1524 cas et 9 décès. Dans le monde, on en était à sept cent mille cas et plus de trente mille morts.
En avril, il n’y avait plus que dix nouveaux cas de contamination par jour, deux mille neuf cent cinquante-quatre malades en tout et cinquante-quatre morts alors que dans le monde, on en était à plus de trois millions de cas et deux cent mille morts.
Début mai, il y avait moins de dix cas par jour et pas de décès.
Le département de virologie a conclu après analyse que la philosophie de l’économie de suffisance pratiquée par le beau pays est la base pour survivre aux attaques et aux désastres. Un pays pauvre, sans technologie de pointe, a de nombreuses faiblesses en comparaison avec un pays développé. Mais c’est un pays qui a une immunité intrinsèque, une nation agricole avec une nature abondante. Jetez n’importe quelle graine de légume sur le sol, et ça poussera ! On peut fermer le pays pendant un an, tout sera désorganisé, mais on ne mourra pas de faim.

À la mi-mai, nous avons commencé à perdre des forces. L’auto-immunité, l’amour et l’unité ont fait merveille. La résistance des habitants du beau pays a été plus forte que ce qu’on espérait. Le fait que les habitants reçoivent le BCG dès leur naissance contre la tuberculose et que l’exercice physique soit fortement encouragé explique en partie notre difficulté à pénétrer dans leurs cellules. En plus de cela, le soleil a commencé à chauffer fortement, avec une température autour de 40°, ce qui a fait que notre armure graisseuse s’est détériorée et que nos épines se sont tordues.
Bien que la victoire de la Covid-19 ait été glorieuse dans plusieurs nations, ce n’est pas le cas pour le beau pays où il n’y a eu qu’un peu plus de trois mille cas de contamination et cinquante six morts, dix fois moins que pour le virus de la grippe de 2009. Mais même si la Covid-19 se retire, nous ne croyons pas que des virus comme nous peuvent s’avouer vaincus. Attendez un peu, pour voir… Quand les villes et les provinces vont s’ouvrir à nouveau, quand l’état d’urgence et le couvre-feu seront levés, que l’alcool sera en vente, alors nous reviendrons. Faites comme bon vous semble, ça se passera comme ça.
À ce moment-là, nous serons de retour. Ce n’est pas sûr que la situation soit favorable à un nouvel assaut du beau pays par la Covid-19, peut-être devrons-nous revoir notre stratégie pour l’attaquer. Mais en vérité, il est bien possible que nous n’ayons pas besoin de forcer, nous pouvons tranquillement attendre la victoire grâce à certains facteurs inhérents au pays, à savoir la cupidité, la haine, les querelles et le manque de règles qui peuvent affaiblir et ruiner toute la nation.
Alors, inévitablement, le beau pays atteindra un tel niveau de détresse qu’il s’autodétruira.

CHANWALEE SRISUKHO est l’autrice de l’essai La grande guerre de la Covid-19, traduit du thaï par LOUISE PICHARD-BERTAUX avec la collaboration de NATJAREE HIRANYAKHAP-LAGIRARDE. Première publication sur la page Facebook du Office of Contemporary Art and Culture (OCAC) (juillet 2020).

1. Le wai est le salut mains jointes pratiqué en Thaïlande.