Souffrances En ces temps incertains

Nocturne

N° Covid-19

UN CAFÉ, UN SOIR. Quelque chose a grandi à l’angle de la rue d’Amsterdam. Une odeur de brûlis et de vieux marc flottait dans la pénombre embuée où les sens cherchaient une issue à l’ivresse. Un café, un soir. Deux femmes croisaient et décroisaient leurs mains. Elles avaient des regards de couteau et moi je t’aimais éperdument. Un café, un soir. Le garcon s’est approché de moi pour me demander poliment de payer l’addition. Au dehors, la foule intimidait le flux et le reflux de mes pensées. Était-ce donc au point nodal de cette sensation vertigineuse que tenait le monde ? Dans les dentelles de ces femmes habillées de fuseaux horaires et de hauts talons vernis ? Sur cette dalle crevée où un chien lançait des aboiements lancinants tandis que la nuit le rejetait comme on vomit un long sanglot de sang ? Non, après tout, je ne dois pas avoir bien vu. Oui, c’est cela ; il s’agirait plutôt d’un bateau ivre venant cogner sa coque aux hublots du macadam. Mais toi, que mes gestes récitaient par cœur, où étais-tu ? Je ne t’ai pas revue depuis cette fameuse journée où, la femme de chambre ayant égaré les clefs de ta valise, tu étais partie, furieuse, et comme aimantée par la sombre ambiguité qui ne cessait de monter entre nous. Ou était-ce tout simplement moi que tu quittais ? Je ne le saurai jamais. À présent, la nuit recouvrira jusqu’à l’ombre de toute impulsion pour repenser le monde. À présent, je détesterai toute amertume sinon celle où danse un reflet mordoré sur le velours satiné où je me suis vu me heurter hargneusement au profond miroir de ton ventre, lorsque tes dents s’ouvraient et se refermaient comme un bal que l’on donne en l’honneur d’un jeune premier. À présent, j’irai vers le soleil, offrant mes pauvres phrases à la première orpheline venue à qui je réciterai le long et dense bréviaire de ma solitude non sans te rendre le redoutable hommage de l’oubli. Il y avait un café, un soir, et j’avais toutes les peines du monde à me rappeler mon nom. Mais toi, qu’en savais-tu ?

AMRINDO SISOWATH est l’auteur de la nouvelle Nocturne. Première publication in Trait d’union (revue de l’hôpital Sainte-Anne, Paris).