Extrait Exil
Je suis l’enfant de ma mère
Numéro 9
I
APPRENDS-MOI à parler avec les morts.
À traduire le fantômais en anglais
et vice versa quand tu dis que tu discutes
avec ta mère qui n’est plus ici ;
à ouvrir mes oreilles dans le calme de la nuit
pour entendre les voix venant de l’autre côté
ou murmurer des secrets à emporter dans la tombe.
Je ne sais pas comment arrêter d’être à moitié morte
sur la carte routière aux itinéraires arachnéens
chronométrant les fonctions comme les humanoïdes le font si souvent
j’ai oublié comment arrêter de courir d’un but à l’autre,
ratant les étapes importantes de mes enfants tandis qu’ils
débordent de leurs vêtements et changent d’école,
devenant les géants de ce qu’ils étaient autrefois
pendant que s’effeuillent les calendriers jaunissants
et que les rides se cimentent dans la chair —
et tout ce qu’il me reste ce sont des images dans la tête,
séquence gravée dans la mémoire de comment elle était
autrefois, sourires asphyxiés et joie désoxygénée,
une mère cachée à l’arrière, ombrageant
mes ténèbres de la lumière rayonnant de son coeur,
le long de la ligne radio d’un appel téléphonique
désespéré quand tout ce que j’avais besoin d’entendre c’était
« tout ira bien » avant que le sol
s’ouvre en grand et m’avale tout entière
et qu’elle est là pour bercer ma chute
comme elle l’a toujours fait sans faillir.
(…)
GRACE CHIA est l’auteure de Nage du chien, Gwóngdūng Wá et Je suis l’enfant de ma mère, trois poèmes traduits de l’anglais (Singapour) par PATRICIA HOUÉFA GRANGE à découvrir dans leur intégralité dans les pages du numéro 9 de Jentayu.