Distanciation En ces temps incertains

Le décret Animaux et Insectes

N° Covid-19

EN DÉFINITIVE, pour garantir
la sécurité nationale absolue
ils firent passer le Décret
de Contrôle d’Urgence et de Discipline
des Animaux et Insectes.

Sous ce nouveau Décret, buffles
vaches et chèvres se virent interdits
de brouter en troupeaux de
plus de trois têtes.

Fini les nuées d’oiseaux
Fini les essaims d’abeilles…
Tous constituaient des rassemblements illégaux.

Comme elles n’avaient obtenu aucun
permis de construire préalable, guêpes maçonnes
et hirondelles de rivage se virent adresser
des mandats d’expulsion sommaires.

Leurs demeures furent déclarées extensions
subversives de la propriété privée.

Singes et martins tristes
furent ordonnés d’interrompre
l’émission de leurs bruyantes
oraisons matinales dans l’attente
de l’octroi d’une Licence de Diffusion Officielle
par le Ministère compétent.

Toute publication ou
diffusion incontrôlée représentait la pire
des menaces en periode d’Urgence Nationale.

De même, les pics furent enjoints
à cesser leurs transmissions en code Morse
depuis la cime des cocotiers
jusqu’aux arbres chempaka.

Tous les messages furent assujettis
à une pré-inspection approfondie
par les autorités qualifiées.

Les moineaux de Java furent arrêtés en
masse pour colportage de rumeurs.

Les chats (soupçonnés de complot)
furent interdits de sortie après 21 heures.

Cigales et criquets reçurent
l’injonction de baisser de volume.

Les canards ne pouvaient
cancaner ni les dindons glousser hors
des heures autorisées.

Ai-je besoin de le dire,
tous les chiens – alsaciens,
teckels, terriers,
pointers et même les
petits chihuahuas – furent muselés.

Dans l’intérêt de la sécurité,
pingouins et zèbres furent
forcés de se départir de leurs
uniformes non homologués.

Les cerfs durent abandonner
leurs dangereuses ramures.

Les tigres et autres carnivores
aux griffes rétractiles furent
aussitôt envoyés en prison
pour dissimulation d’armes létales.

Et en vertu de l’Article Quatre,
paragraphe 2-b, sous-section seize,
les éléphants n’étaient autorisés
en aucune circonstance
à émettre le moindre vent entre
six heures et six heures.
Leurs pets pouvaient aisément
être pris pour des coups de feu.
Ça pourrait inciter à l’émeute…

Un mois après que le Décret
eut paru au Journal Officiel
les oiseaux et les insectes
commencèrent à migrer vers le sud
les animaux partirent vers le nord
et un silence inquiétant
menotta les forêts.

Il y avait désormais
une Sécurité Totale.

CECIL RAJENDRA est l’auteur du poème Le décret Animaux et Insectes, traduit de l’anglais (Malaisie) par JÉRÔME BOUCHAUD. Première publication in Refugees and Other Despairs (Choice Books, Singapour, 1980).