(Dés)espoirs En ces temps incertains
Que la pluie ne m’abatte
N° Covid-19
Tout le monde au Japon connaît ce poème. Kenji le portait toujours sur lui, noté dans un petit carnet noir. C’était en somme une ligne de conduite personnelle, intime, qui a trouvé des échos innombrables par la suite.
QUE LA PLUIE ne m’abatte
Pas davantage que le vent
Ni la neige
Ni la chaleur de l’été
Un corps en bonne santé
Pas de désirs
Jamais d’emportements
Que toujours
Je rie paisiblement
Que je mange chaque jour
Quatre bols de riz brun
De la soupe, quelques légumes
Devant toutes choses
Que je m’efface moi-même
Que je les voie, les écoute, les comprenne
bien et jamais plus
ne les oublie
Que j’habite une petite cabane
Au toit de chaume
À l’ombre d’un bois de pins
Parmi les prés
Un enfant souffre au levant
Que je parte le soigner
Une mère n’en peut plus au couchant
Que je lui porte ses bottes de riz
Un mourant au sud
Que j’aille lui dire : “n’aie pas peur”
Des disputes, des chicanes au nord
Que j’affirme leur bêtise et les achève
Que mes larmes coulent
En cas de sécheresse
Que ma marche se bouleverse
Si un été est trop froid
Que tous me nomment
simple d’esprit
Que je ne sois ni loué
ni tourmenté
Voilà comme
Je veux devenir
***
Qui était Kenji Miyazawa ? par Taijiro Amazawa
Un homme du Feu
C’était un homme du Feu : en lui un lac brûlant de flammes projetait des mots, de la chaleur, de la musique, des cendres et des cailloux : des amas de cendres surgirent des plantes et des cailloux refroidis devinrent des pierres précieuses. De son vivant, Kenji Miyazawa était un volcan actif, un avatar du beau mont Iwaté qu’il avait admiré dans son pays depuis son enfance.
Un homme de l’Eau
C’était un homme des Eaux, des Eaux fluides, des Eaux du Fleuve. La Kitakami, la grande rivières des région du nord-est arrose non seulement Hanamaki, la ville natale du poète, et Morioka, où il a été étudiant, son flux scintillant et invisible comme celui de la Rivière du Ciel, la Voie lactée qui coule à l’infini, traverse aussi tous les rêves et toutes les réalités de ses oeuvres.
Un homme du Vent
C’était un homme du Vent. Quelques citations ne pourraient épuiser le mystère des formes éblouissantes des vents, des souffles obsédants et de leur chant qui parcourent et animent tout l’horizon de ses contes et poèmes. Matasaburo le vent n’est pas un simple personnage, il est le génie même du monde créé par Kenji.
Un homme de la Terre
C’était un homme de la Terre. Loin, à l’intérieur de notre planète, un univers de feu, des magmas, remontent vers la surface pour se figer en roches qui subissent diverses transformations et deviennent sol et sable. Kenji, collectionneur enthousiaste de spécimens minéraux depuis son enfance, fut fasciné toute sa vie par leur structure cachée : ce sont les « Time-capsule » de l’histoire de la Terre.
La Terre, l’Eau, le Feu, le Vent… ajoutons : l’Espace (le Vide), ce sont les cinq Éléments du bouddhisme. Dans un de ses poèmes, Kenji a écrit :
Cinq Roues : Terre, Eau, Feu, Vent et Vide
Le Vide, dit-on, c’est la totalité
(Au col des Cinq Roues)
C’est-à-dire : Kenji Miyazawa est, au total, un homme du Vide.
Ajoutons encore : Kenji Miyazawa est un Chasseur de Rêves, un Chercheur de Lois.
Une énorme violence cachée lui fit bannir toute colère et le poussa dans un profond renoncement.
KENJI MIYAZAWA est l’auteur du poème Que la pluie ne m’abatte, traduit du japonais par HÉLÈNE MORITA. Première publication in『雪渡り』(Patriotic Women’s Association, Tokyo, décembre 1921). Traduction publiée une première fois dans Traversée de la neige (Intertextes, Paris, 1991). TAIJIRO AMAZAWA est l’auteur de la présentation de Kenji Miyazawa, également traduite par HÉLÈNE MORITA.