Note de lecture L'Avenir
IT84
Numéro 10
ZHANG XINXIN A MARQUÉ les années 1980 en Chine, mais son parcours ne s’achève pas à l’automne 1988, date de son départ pour les Etats-Unis. Elle est à (re)découvrir, au-delà de ses écrits de ces années-là et pour ses multiples autres facettes : scénariste, réalisatrice, photographe et graphiste.
En France, seuls des textes des années 1980 ont été traduits, et même si les traductions sont relativement nombreuses (six titres parus chez Actes Sud entre 1987 et 1994), elles restent limitées à cette période.
Entre science-fiction et autobiographie
En décembre 2010 et janvier 2011, Zhang Xinxin a publié à Pékin une longue autobiographie en deux volumes intitulée Moi. Autobiographie en dialogue avec son mari, comme en miroir, dont la forme est celle d’un roman.
L’utilisation d’un mode narratif propre au roman posait évidemment le problème de la relation de la réalité avec la fiction. On peut voir IT84 comme une autre manière d’aborder l’autobiographie, sous forme de roman de science-fiction.
Zhang Xinxin a passé dix ans à y penser, à l’écrire, le réviser et le réécrire…
Dès le titre, la référence au 1984 de George Orwell est explicite. Comme dans ce roman, le principal personnage est Big Brother ; en revanche, le monde n’est pas divisé en trois grands blocs en guerre perpétuelle les uns contre les autres, mais contrôlé par deux puissances internet rivales, qui offrent toutes sortes de produits, livrés immédiatement, et gouvernent une humanité truffée de puces. On étudie grâce à Google, et on garde sa mémoire dans les Clouds. Les hommes, ravis, n’en demandent pas plus. Les robots sont de plus en plus nombreux pour effectuer les tâches les plus diverses, et les humains améliorent leurs performances grâce à des puces qui permettent d’accroître la longévité et d’améliorer son moral en éradiquant les maladies, la démence, etc.
Le nec plus ultra est un package d’optimisation des capacités humaines conçu spécialement pour répondre aux spécificités de chacun. Alors que les deux méga-puissances se battent pour en avoir le copyright, elles découvrent qu’un petit voyou IT est en train de piétiner leurs plates-bandes et de fabriquer sa propre version, appelée Licorne, dans une vieille usine abandonnée de l’armée. Alors elles se liguent pour le supprimer et louent les services d’un assassin…
Assassin qui est une femme, ou plutôt une machine douée d’intelligence (artificielle) qui a réussi à acquérir des organes sensoriels humains, un robot humanoïde nommé Voudraitpleurer qui rêve d’avoir un cœur humain. Elle travaille dans l’usine, au milieu des ouvrières dont elle observe les travers et les faiblesses, et des robots super efficaces, qui les remplacent au besoin.
Elle est idéale pour supprimer froidement Big Brother, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que c’est lui qui l’a créée, des années auparavant. Et maintenant, il est curieux de savoir comment cette machine grossière qu’il avait inventée sur une vieille IBM 486 a réussi à acquérir des perceptions sensorielles humaines. Quant à elle, elle veut savoir ce qui se cache derrière les Licornes… La bataille va se livrer sur des échiquiers, lors de dix-huit jeux simultanés : échecs, go et autres. L’avenir de l’humanité est en jeu : et si Big Sister remplaçait Big Brother ?
Voudraitpleurer est la plus belle création de Zhang Xinxin : un être entre femme et machine, qui est autant Zhang Xinxin que Madame Bovary était Flaubert. C’est ce qu’elle explique dans la postface du roman, publiée sur internet. IT84 est un fantasme né de son imagination, de son histoire propre, et surtout des circonstances douloureuses engendrées par un accident terrible qui a nécessité une intervention chirurgicale sur la colonne vertébrale. Elle a ainsi créé Voudraitpleurer à son image1, tellement dévastée par la douleur qu’elle n’en arrivait même pas à pleurer…
ZHANG XINXIN est l’auteure du roman IT84, dont des extraits traduits du chinois (Chine) par BRIGITTE DUZAN sont à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 10 de Jentayu.
Illustration © Hsu Hui-lan.