Note de lecture L'Avenir
La terre sous nos pieds
Numéro 10
NÉ EN 1975, PAN HAITIAN appartient à ce qu’il est convenu d’appeler la « troisième génération » des auteurs de science-fiction chinois : des auteurs qui ont dépassé la science-fiction au sens traditionnel du terme pour écrire des récits qui brouillent les genres.
Première originalité pour un auteur de science-fiction : il a un diplôme d’architecture, de l’université Tsinghua à Pékin, mais il se présente comme philosophe. Ensuite ses récits tiennent autant de la fantasy, ou littérature de l’imaginaire (huanxiang, 幻想), que de la science-fiction (kehuan, 科幻) qui, par sa terminologie même, d’ailleurs, semble avoir vocation de l’englober. Mais surtout ils tiennent aussi bien de la fable ou du conte.
« Le Cité des clones » (《克隆之城》) est proche de la science-fiction « hard », bien que le cœur de la nouvelle soit constituée de réflexions de type classique sur la nature humaine. Mais c’est l’une de ses premières histoires publiées, en 1996. Pan Haitian a ensuite diversifié ses styles et ses sources.
Parmi ses œuvres les plus représentatives, on trouve le genre fable, comme « Dajiao, cours vite ! » (《大角,快跑!》), publiée en 2007 : l’histoire d’un enfant que la recherche d’un médicament entraîne dans des contrées féériques.
Certaines de ses histoires peuvent être inspirées par l’actualité : ainsi « L’histoire d’un cochon au printemps » (《春天的猪的故事》) part du tremblement de terre de Wenchuan (汶川大地震), le 12 mai 2008, tout en se rattachant au genre de la fable animalière, dans un registre satirique comique : des cochons qui ont survécu au tremblement de terre partent à la conquête du monde. On verrait très bien le récit adapté en film d’animation.
Inspiration littéraire
Mais, pour les passionnés de littérature chinoise, et pas seulement de science-fiction, Pan Haitian a l’intérêt supplémentaire de s’inspirer parfois de la mythologie chinoise, ou de littérature ancienne, pour bâtir ses histoires. Il a d’ailleurs commencé ainsi, en 1998 : l’une de ses premières nouvelles, la nouvelle « moyenne » « La légende de Maître Yan » (Yanshi chuanshuo,《偃师传说》) est inspirée d’un récit du Liezi (《列子》), un recueil de fables et aphorismes taoïstes qui est l’un des trois grands classique taoïstes et serait antérieur au Zhuangzi. Le Yanshi chuanshuo se rattache au genre des chroniques de l’étrange et apparaît au chapitre 5, « Questions de Tang » (Tang wen,《湯問》).
Le maître Yan de l’histoire était un artisan (gongren, 工人) qui fabriquait des automates, tellement trompeurs que l’empereur Mu s’y laissa prendre, et, voyant qu’ils faisaient des œillades aux femmes de son harem lors de leur présentation au palais, faillit, de fureur, faire décapiter l’artisan. C’est évidemment, dans le Liezi, pour servir une réflexion sur les limites floues entre apparence et réalité, sur le pouvoir créateur de l’homme, et bien d’autres thèmes selon les intérêts de chacun. Pan Haitian en fait une fable moderne sur un homme qui construit des automates d’horloges.
Pan Haitian peut aussi mêler l’humour à ses évocations littéraires : ainsi dans une nouvelle de 2010, « Lu Xun chasseur de démons » (《恶魔猎手鲁迅》), il fait du grand écrivain Lu Xun (鲁迅) un chasseur de démons à la Zhong Kui (钟馗) et un avatar de héros de wuxia (lui qui détestait le genre) ; il doit affronter un dangereux rival, en l’occurrence nul autre que Liang Shiqiu (梁实秋), écrivain, traducteur, théoricien littéraire et autres – né en 1903, membre de la société du Croissant de lune (新月社) fondée par le poète Xu Zhimo en 1923 et tenante d’un courant de « l’art pour l’art », Liang Shiqiu en a décousu avec les « gauchistes » de la Ligue des écrivains de gauche, dont Lu Xun… d’où la satire très drôle de la nouvelle de Pan Haitian qui commence… par une nuit de la pleine lune !
La suite de la note de lecture sur le site Chinese Short Stories.
PAN HAITIAN est l’auteur de la nouvelle La terre sous nos pieds, traduite du chinois (Chine) par LOÏC ALOISIO et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 10 de Jentayu.
Illustration © Hsu Hui-lan.