Numéro 8 Animal

Baleines à bosse

Entretien

POISSONS, TIGRES, sauterelles, baleines, chats, vos poèmes sont de véritables réserves naturelles. D’où vient votre bestiaire ? Quelle est la place de l’animal dans votre écriture poétique ?

HU XUDONG : Je suis né et j’ai grandi dans un village montagneux près de Chongqing, un lieu littéralement au milieu de nulle part. Toutefois, l’abondance de la vie sauvage m’a procuré enfant une joie immense. Je ne savais pas encore comment toute cette promiscuité avec les animaux influencerait ma vie spirituelle. Je voulais juste pêcher, attraper des insectes, nourrir les buffles et les cochons, attraper des oiseaux, etc.
Plus tard, quand j’ai eu 8 ans, nous avons déménagé dans une petite ville de la province du Hubei avec ma famille. Bien que je sois très loin des immenses rivières et des rizières de mon village natal, j’ai continué à observer de nombreux petits animaux dans cette ville de montagne encore peu développée. C’est à mon arrivée à Pékin, la capitale où j’ai étudié et travaillé, que j’ai ressenti la perte indescriptible de ces compagnons. Avec la nostalgie d’un monde naturaliste, j’ai commencé à mettre des animaux dans ma poésie.
Je ne suis pas un poète écologiste, je place des animaux réalistes ou imaginaires pour des raisons d’expressivité. Ce sont parfois des métaphores des mystères du monde, des parties imperceptibles de moi-même, parfois ils servent d’ironies aux réalités sociales, parfois ils sont là comme représentations de l’imagination elle-même.

Comme d’autres auteurs chinois de votre génération, vous avez passé beaucoup de temps à l’étranger, au Brésil et aux États-Unis en particulier. Certains de vos textes montrent une sorte de mélancolie envers la Chine. Le thème du retour à la patrie, qui a longtemps été la source de toute la littérature chinoise classique, nourrit-il votre travail ?

J’ai toujours un besoin pressant de passer quelques jours à l’étranger, je suis une sorte de collectionneur d’expériences géographiques et anecdotes historiques. Intellectuellement, j’ai été nourri par les littératures étrangères et chaque fois que je suis à l’étranger, je sens que je creuse à même la racine carrée de mes connaissances littéraires.
Cependant, physiquement, je suis très chinois, je ne peux pas survivre sans thé vert, cigarettes chinoises ou piment du Sichuan, sans le plaisir subtil des jeux de mots et la peau soyeuse des filles du Sud de la Chine. C’est pourquoi je montre une sorte de mélancolie envers la Chine dans ma poésie écrite à l’étranger.
Peut-être tout cela provient-il inconsciemment de la tradition de la nostalgie dans la littérature classique chinoise ; surtout dans certains cas où j’ai dû « agir » comme un authentique chinois afin de démontrer aux organisateurs la valeur de leur invitation. Honnêtement, je pense que tout résulte de la bataille entre le côté intellectuel et le côté physique à l’intérieur de mon propre corps.

Votre travail a été traduit en plusieurs langues. Vous avez participé au Forum de la culture chinoise à Hanovre, au Nordic-Asian Poetry Festival et au Pacific Poetry Festival à Taïwan. Sans parler des tendances, quelles sont selon vous les grandes questions des poètes contemporains chinois ?

C’est certainement une question importante. Je pense que l’aspect le plus intéressant des poètes contemporains de langue chinoise est qu’ils perdent l’intérêt de construire un consensus sur des problématiques communes.
Ainsi, pour certains, la première préoccupation est d’explorer les nouvelles possibilités de la langue chinoise moderne – qui est encore une jeune langue littéraire comparée à la longue histoire de la langue classique – quand d’autres se préoccupent davantage de cartographier la Chine contemporaine dans un « vortex » socio-historique très brutal. Aussi, si certains poètes veulent que leur poésie soit plus puissante ou éloquente pour correspondre à l’échelle de ce pays immense ou de cette époque pleine d’agressivité, d’autres poètes s’obligent à revenir à la tradition de la littérature chinoise pour réactiver quelques principes esthétiques.

HU XUDONG est l’auteur de Baleines à bosseLa rive et Sauterelles, trois poèmes traduits du chinois (Chine) par CAMILLE BRANTES et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 8 de Jentayu.

Propos recueillis et traduits par Camille Brantes. Photo : © Association Cetamada.