Numéro 7 Histoire et Mémoire

Papillon

Entretien

GOUZEL, LE THÈME de la mémoire historique est très présent dans la plupart de vos œuvres. Pourquoi est-ce si important pour vous?

Gouzel Iakhina : Les années 20 et 30 correspondent au début de l’ère soviétique et me fascinent. C’est à la fois une époque marquée par de nombreuses tragédies, et en même temps, c’est une époque où l’art se développe à toute allure, où se manifeste un engouement sans pareil pour les causes sociales, ainsi qu’un espoir et des idées sans précédent. C’est une époque traumatisante pour le pays durant laquelle se succèdent la révolution, la guerre civile, des destructions sans fin, la famine, et les répressions staliniennes. Ces traumatismes s’enchaînent les uns après les autres, et la société n’a guère le temps d’en prendre pleinement conscience, ni d’y faire face. Ceci correspond à une époque qui nous a tous façonnés, et il est nécessaire, me semble-t-il, d’y chercher des réponses à ce qui nous arrive aujourd’hui.
Le thème de la mémoire historique est d’autant plus important dans notre pays que le lien entre les générations est souvent coupé à cause de ces traumatismes. Très souvent les gens ne savent presque rien de leurs grands-parents, et encore moins de leurs ancêtres plus anciens. Un grand nombre de peuples a aussi été déporté et forcé de quitter le pays natal, parfois plus d’une fois.

Quel est le rôle de la littérature dans cette sauvegarde de la mémoire historique ?

Le roman historique peut aider soit à combler ce manque de connaissance, soit à mieux ressentir et comprendre les générations passées. Ceci signifie qu’en Russie, le roman historique remplit plusieurs fonctions – certes il a une fonction tout simplement éducative, mais aussi une autre fonction, tout aussi importante, qui est de tresser le lien disparu entre les générations. Enfin, il sert à se remettre des vieux traumatismes de notre société.
Pour chaque enfant, la mémoire historique se forme à la maison, à travers les conversations sur l’histoire de la famille, les albums de photos de famille, les arbres généalogiques, les photos des ancêtres, les souvenirs ayant appartenu aux arrières grands-parents. C’est cela qui fait naître l’intérêt pour l’histoire avec un grand H, et permet de prendre conscience de sa place, de la place de sa famille dans cette histoire, de développer un rapport personnel et non abstrait à cette histoire.

Quelles œuvres littéraires vous ont le plus marquée ?

À chaque époque correspond un auteur ou une œuvre différente. Dans mon enfance, ce furent bien sûr les mythes de la Grèce antique, les contes de fées de divers peuples, les épopées, ainsi que les contes écrits par des auteurs célèbres comme Hoffman, Hauff, Lindgren et Andersen. Mais aussi Saint-Exupéry. J’adorais lire les contes, et ce jusqu’à un âge avancé.  À tel point que mes parents commencèrent à les cacher, de peur que je ne me mette pas à lire des choses plus sérieuses. Durant mon adolescence, mes auteurs étrangers préférés étaient Hemingway et Remarque. Plus tard, Trubi, Campbell, Volger, Estes – il s’agit d’auteurs de livres spécialisés sur l’écriture de scénario.

GOUZEL IAKHINA est l’auteure de Papillon, une nouvelle traduite du russe (Russie) par FILIP NOUBEL et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 7 de Jentayu.

Propos recueillis et traduits par Filip Noubel. Illustration © Arief Witjaksana.