Numéro 5 Woks et Marmites

Peng Fei et Wang Aishu

Note de lecture

CAO KOU APPARTIENT À la génération des écrivains nés dans les années 1970 : entre celle des écrivains nés dans les années 1960 qui ont été à la source du renouveau de la littérature chinoise au début de la période d’ouverture et celle, brillante et turbulente, des jeunes « post-80 », cette génération a été quelque peu sacrifiée. On l’appelle « la génération intermédiaire » (“中间代”).
C’est sans doute parmi ces écrivains que se trouve le plus intéressant de la littérature chinoise contemporaine, et Cao Kou en est une des voix plus originales.

Une enfance d’insulaire, condamné à l’insularité

Cao Kou (曹寇) est né en 1977, dans la période de transition qui suivit la chute de la Bande des Quatre. Il est est né à Nankin, mais – première originalité – un peu en dehors de la  ville, dans une île sur le Yangtse, un bout de terre enserré dans une boucle du fleuve : l’île de Bagua Zhou (八卦洲), dans le district de Qixia (栖霞区). Encore essentiellement rurale, l’île est aujourd’hui en voie d’urbanisation, mais, du temps de l’enfance de Cao Kou, c’était encore une zone sauvage et peu peuplée, où s’étaient réfugiées des familles venues du nord de la province voisine de l’Anhui. Les enfants les plus respectés de leurs congénères étaient ceux qui se distinguaient par leur dextérité à attraper des poissons ou des oiseaux.
Peu doué pour les jeux prisés des autres, Cao Kou a eu une enfance de marginal, déjà. Il allait souvent se promener au milieu des tombes, et dit avoir appris en partie à lire en déchiffrant les inscriptions sur les stèles. Il s’est ainsi très tôt réfugié dans la lecture, avant même de penser à écrire. Il a cependant pu poursuivre ses études secondaires à Nankin. A la fin du lycée, il a réussi à entrer à l’Ecole normale (师范学校), et a fait quatre ans d’études de littérature chinoise qu’il qualifie de «simplistes et sans intérêt » (浑浑噩噩 húnhún è’è) ; mais il s’est ensuite retrouvé dans le quota de professeurs du peuple … du lycée de Bagua Zhou. Retour à la case départ. Face aux visages épanouis de ses élèves, il se disait qu’il avait traversé le plus gros de ses épreuves, mais se voyait mal passer là le restant de son existence : après un mariage avec une femme pas très jolie, mais de même statut social, et une vie aisée avec deux bons salaires, mais d’un ennui mortel, prendre sa retraite au bout de trente-cinq ans et ne plus avoir qu’à attendre la mort.

Une voix originale

Il a commencé à écrire au tournant du millénaire, en utilisant les ressources offertes par internet : possibilités de publication, mais aussi de dialogue et d’échange.

Récits de vies « ennuyeuses »

Mais que pouvait-il décrire, sinon ces vies sans histoires, justement, qu’il avait toujours connues ? Cela donne des récits d’existences dont la caractéristique essentielle est l’ennui (无聊), ennui existentiel devenu le ressort et le moteur de ses nouvelles.
L’un de ses récits les plus représentatifs, en ce sens, est « Paysage nocturne de petit village » (《小镇夜景》). Il commence par l’arrivée dans une école, à la nuit tombée, d’une jeune fille à la recherche de sa cousine, une certaine Liang Xiaoqun (梁小春) qui est professeur de chimie. Elle est accueillie par deux collègues, Zhao Zhiming (赵志明) et Li Ming (李黎). Mais Liang Xiaoqun reste introuvable, son portable est fermé…  Inquiets, ils partent à sa recherche, dans un premier village, puis un peu plus loin… pour finir par la retrouver les attendant : elle était partie voir un ami à bicyclette et avait crevé…
On est aux antipodes de la nouvelle à suspense : il ne se passe finalement rien, comme dans tout village où il n’y a rien à faire après le dîner, dès que tombe la nuit, sauf « jouer au basket à tâtons dans l’obscurité » (晚饭后我们干点什么呢?什么干的也没有。只好摸黑打篮球。). On sent le récit largement autobiographique.
La nouvelle débute par deux poèmes, écrits par les deux professeurs. Ils donnent le ton. Le premier s’appelle « Dragons » (《龙》) :

它们无所事事        n’ayant strictement rien à faire, 
在饱食后散步        après s’être rempli la panse vont faire un tour,
惊起漫天的尘土     s’effraient de la poussière qu’il y a alentour
留下脚印和粪便     et laissent en chemin petites crottes et traces de pas.

Le grand art est d’écrire des nouvelles entières exprimant le profond ennui inspiré par la vie insipide des petites gens autour de soi. Cao Kou y est passé maître.

Plume alerte et satirique

Outre plusieurs recueils de nouvelles, dont les deux plus connus sont « Un arbre sur le toit » (《屋顶长的一棵树》) et « De plus en plus » (《越来越》), publiés en 2011 et 2012 mais regroupant des nouvelles remontant à 2002, Cao Kou a aussi publié un roman : « Chronologie de dix-sept années » ou « Vivre au temps de Saddam » (《十七年表》,原名《萨达姆时期的生活》) ; il y décrit la vie ordinaire d’un jeune Chinois de 1990 à 2006, c’est-à-dire de l’invasion du Koweit par Saddam Hussein à son exécution, le 30 décembre 2006, soit dix-sept années historiques correspondant, dans la vie de son personnage, à son passage de l’adolescence à l’âge adulte.
La verve satirique frisant l’absurde de Cao Kou, toujours latente dans ses récits de fiction, transparaît dans une sorte d’essai historique publié aussi en 2011, et intitulé « Histoire secrète du sexe dissimulée au fond d’un coffre » (《藏在箱底的秘密性史》). Le livre commence par une étude du Livre des Odes (《诗经》), du Livre des Mutations (《易经》) et d’autres classiques anciens, avant d’aborder les diverses périodes dynastiques. C’est une autre manière de dépeindre l’évolution de la culture et des mœurs chinoises.
Cao Kou a également publié récemment un recueil de courts textes « au fil de la plume » (随笔集) intitulé « Tranche de vie » (《生活片》).

La suite de la note de lecture sur le site Chinese Short Stories.

CAO KOU est l’auteur de Peng Fei et Wang Aishu, une nouvelle traduite du chinois (Chine) par BRIGITTE DUZAN à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 5 de Jentayu.

Illustration © Sith Zâm.