Numéro 2 Villes et Violence

De bitume et d’acier

Édito

QUI A UN JOUR POSÉ le pied sur le bitume des villes d’Asie, les yeux sur leurs tours d’acier et sillonné leurs artères grouillantes n’a pu en ressortir indemne. Expansion tentaculaire, construction à tous crins, déplacements de population, ghettos de riches côtoyant les slums, embouteillages monstres, pollution hors de contrôle, consumérisme agressif, triades reines de l’ombre… Le choc est brutal, frontal. Tout, ici, est disponible, à portée de main, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Tout, et surtout son contraire. Tels des chasseurs embusqués pour qui la cible serait le premier venu, les villes asiatiques ne dorment pas : elles veillent.

Dans ce numéro 2 de Jentayu, nous vous embarquons, pied au plancher, dans une virée aux quatre coins de l’Asie, à commencer par Singapour, en compagnie d’un taxi driver dont le quota de tolérance est depuis longtemps épuisé. Il nous dépose à Surabaya, dans un supermarché où les pauvres ne peuvent toucher la marchandise que des yeux, au risque de subir la cruelle loi des riches. On reprend la route, en camion cette fois, direction un hameau tibétain où la venue d’un Khampa à la face crasseuse et au poignard effilé ne présage rien de bon. Passage obligé dans les soi de Bangkok, pour un spectacle de danse qui masque des coulisses beaucoup moins sexy. À peine remis de nos émotions, c’est en Corée du Sud qu’on refait surface pour plonger aussitôt dans les pensées paranoïaques d’une mère de famille agressée de toutes parts. La route sera longue et semée d’embûches, mais c’est sous un jour nouveau que nous découvrirons Taipei, à travers les yeux d’un nourrisson. Là encore, notre répit sera de courte durée, le temps pour notre bébé de découvrir son nouveau logis, bien loin du confort du ventre de maman !

On repart pour l’Indonésie, dans une bourgade dont le maire est confronté à un dilemme cornélien : construire ou ne pas construire ce carrefour, en apparence prometteur de meilleurs lendemains ? La machine administrative décidera pour lui, tout comme elle décide de la vie de ces millions de Chinois masqués, vivant « sous le dôme ». Le smog, déjà une triste réalité, est en passe de créer de nouvelles classes : celle d’un « lumpenprolétariat éco-démuni » et celle d’une élite à même de se payer un peu d’air pur. Conflit de classes aussi à Kuala Lumpur, où les immigrés vivant dans une pauvreté abjecte ne sont pas à l’abri, comme tout un chacun, d’un coup de foudre… salvateur ? Pas si sûr. Retour en Thaïlande, où le passage d’une frontière s’avère plus compliqué que prévu lorsqu’on transporte un passager non identifié à l’arrière. À moins que ce ne soit une marchandise ? Dans ce bestiaire des affres de la vie urbaine d’Asie, on commence à douter de pouvoir un jour trouver une issue de secours… Heureusement, elle nous est offerte en toute fin de parcours, à Taipei, auprès d’une jeune femme qui, elle, sait encore user de ses cinq sens, créer de ses dix doigts, discerner la beauté. Du cauchemar urbain peut naître un monde nouveau. Encore faudrait-il ouvrir les yeux pour le voir.

Les éditions Jentayu tiennent à remercier toutes les personnes ayant accepté de faire partie de l’aventure de cette revue, et tout particulièrement les traducteurs qui ont généreusement donné de leur temps pour permettre à ce deuxième numéro de voir le jour, par ordre alphabétique : Marcel Barang, Mélanie BasnelJérôme BouchaudBrigitte Bresson, Catherine Charmant, Deng Xinnan, Brigitte Duzan, Gwennaël Gaffric, Matthieu Kolatte, Laura Lampach, Lim Yeong-hee et Koson Thanadsamran.