Numéro 1 Jeunesse et Identité(s)

L’année où Pigafetta acheva sa circumnavigation

Note de lecture

ANTÓNIO PIGAFETTA est l’anti-héros carnavalesque du dernier roman de l’écrivain de Timor-Leste Luís Cardoso, O Ano em que Pigafetta completou a circum-navegação (Sextante, Lisbonne, 2013). L’esthétique carnavalesque est liée à l’imaginaire timorais à travers le rain-fila, c’est-à-dire le mythe de la terre retournée à l’envers, ce qui permet d’inverser les processus, de revenir au début pour reprendre une action.

C’est ce qui arrive à António Pigafetta, cette créature extraordinaire de Luís Cardoso, quand il réussit à achever le voyage de circumnavigation que son aïeul supposé, le chroniqueur de Fernão de Magalhães, a interrompu au début des années 1520 en s’installant à Timor. Le pseudo-Pigafetta assume entièrement l’identité qu’on lui a donnée à l’orphelinat en revenant au moment où le voyage historique s’est interrompu, avec le voyage final qu’il entreprend en bateau jusqu’à Lisbonne.

L’inversion carnavalesque qui travaille ce personnage privé du pouvoir de la parole lui confère son importance de protagoniste. Né albinos dans une famille villageoise dans les dernières années de la colonisation portugaise, il est la cible de l’exclusion non seulement de la part de ses parents, mais aussi de la micro-société constituée par l’orphelinat où il est envoyé étudier. Il subit des tortures dont il faillit ne pas réchapper, devient sacristain et tombe, pendant l’occupation indonésienne, entre les mains de Sakunar, sombre personnage qui fait de lui son esclave sexuel, l’obligeant à revêtir les vêtements de sa femme pendant qu’il le viole, et lui inventant même, par commodité, une fausse grossesse. Tout comme il avait endossé l’identité de Pigafetta, le sacristain devient alors un travesti.

Dans l’épilogue du roman, l’image carnavalesque de Pigafetta est mise en scène tel un fait-divers où se côtoient le grandiose et le dérisoire : « Le sacristain Pigafetta avait l’intention de graver pour la postérité tout ce que son aïeul n’avait pas écrit dans son livre de bord dont s’était emparé un faussaire qui l’avait publié plus tard sous le nom du chroniqueur, y rajoutant la partie qui manquait (…) Un journal local, en langue portugaise, édita une manchette avec pour titre L’année où Timor-Leste s’apprête à acquérir son indépendance, Pigafetta achève sa circumnavigation. Un retour cinq siècles plus tard. Non pas de ses restes mortels, comme on aurait pu l’espérer. Mais en chair et en os. Et, plus bas, on voit une photographie où une femme à la peau blanche vêtue en costume traditionnel pose pour la postérité à côté d’un marin de la frégate portugaise ».

Cette figure tragi-comique représente toute la complexité d’une période agitée de l’histoire récente de Timor-Leste. Sa jeunesse et sa formation coïncident en quelque sorte avec le processus d’accession à l’indépendance de ce jeune pays.

CATHERINE DUMAS a traduit du portugais (Timor-Leste) des extraits du roman L’année où Pigafetta acheva sa circumnavigation de LUÍS CARDOSO, à découvrir dans les pages du numéro 1 de Jentayu.

Illustration © Munkao